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Sous le titre lisse et pondéré « Le passe sanitaire, danger pour les libertés ? L’intérêt général a aussi ses droits », le FigaroVox s’enorgueillit de publier une voix « pour » après les tribunes « contre » de François-Xavier Bellamy ou de Chantal Delsol pointant la dérive inédite du point de vue des libertés et de l’égalité devant la loi inscrite dans le projet du gouvernement sur l’extension du passe sanitaire. Son auteur est Jean-Éric Schoettl, ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel de 2007 à 2017. Une tribune en forme de carte postale pour doucher les espoirs de ceux qui espèrent une censure du texte ?
Peut-être, mais on est surtout stupéfait par l’accumulation de raisonnements spécieux, abusifs, de comparaisons grossières et de silences délibérés sur les aspects les plus contestables du texte.
Premier biais étonnant, chez un juriste de haut vol : la comparaison disproportionnée. Vous vous inquiétez de la restriction des libertés et la discrimination qui sera faite en raison de votre état vaccinal ? « Cessons donc d’entretenir le fantasme selon lequel le gouvernement “profiterait” du virus pour mettre la société en coupe réglée et pour compartimenter les citoyens. À l’heure où les talibans referment leurs griffes sur l’Afghanistan, ne galvaudons pas le mot “dictature”. » D’une part, personne n’a jamais traité Emmanuel Macron de taliban ; d’autre part, disqualifier de la sorte des inquiétudes sérieuses est un pur sophisme. Il y a tout de même quelques étapes dans le rognage de nos libertés avant la dictature talibane. On pourrait peut-être regarder l’exemple anglais ?
Autre comparaison déplacée, qui n’est en fait que l’argument du chantage que nous sert l’exécutif depuis le début de cette affaire du passe : « Quant au geste de présenter un QR code, est-il plus offensant pour notre dignité et notre autonomie personnelles que le remplissage d’un justificatif de sortie, auquel nous nous sommes pliés sans barguigner pendant des mois ? » Ben oui, rien de plus simple ! Comme si l’auteur faisait mine d’ignorer tout ce qu’implique ce QR code ! Mais comme vous avez aimé l’attestation, vous ne pouvez qu’adorer le QR code ! On serait en droit d’attendre un peu plus de hauteur.
Deuxième faiblesse de notre juriste : comme notre Président devenu épidémiologiste et prodiguant ses consultations gratuites à distance sur TikTok, lui aussi se met à raisonner en médecin qu’il n’est pas, fasciné pour « une expérience en vraie grandeur, sans précédent dans l’histoire de la médecine (car menée dans le monde entier, pendant huit mois, sur plus d’un milliard de sujets) ». Si on peut le suivre – en partie – sur son constat que le vaccin préserverait des formes les plus graves, on est étonné qu’il ne tienne pas compte des dernières données médicales montrant que les vaccinés, eux aussi, peuvent être contaminés et contaminants. Or, ce point précis lui aurait permis de quitter sa blouse blanche qu’il n’a enfilée qu’à moitié et de retrouver son costume de juriste, qu’il semble avoir laissé au vestiaire : comment peut-on octroyer des libertés à certains citoyens potentiellement aussi contaminants que les autres ? C’est justement la prime au « passager clandestin », selon sa savoureuse formule !
On passera sur la caricature habituelle des anti-passe (« une minorité véhémente […] antisystème, [qui] est aujourd’hui antivax comme elle était hier zadiste, altermondialiste ou “gilet jaune” ») où ne manque aucune charge (« l’étoile jaune ») et la nécessité de leur assener une juste « admonestation ». Et M. Schoettl ne se cache même pas pour applaudir Gabriel Attal.
Enfin, on demeure effaré par la conclusion, politique et non juridique, elle aussi en forme de chantage, mais, cette fois, destiné à l’opposition : « N’est-il pas pathétique, enfin, de voir des parlementaires d’opposition souhaiter que s’abattent sur une loi modérée les foudres du juge constitutionnel ? Mesurent-ils bien que, lorsqu’ils seront revenus aux affaires, ce juge manifestera aussi peu de retenue à l’égard de leurs lois qu’à l’égard de celles qu’ils lui avaient déférées ? »
Si, sur un texte aussi problématique, un ancien secrétaire général du Constitutionnel se permet de telles attaques, et si nos inquiétudes pour nos libertés sont ainsi traitées au Conseil constitutionnel, on ne peut qu’être inquiet de la défense de l’État de droit dans notre pays.
Pascal Célérier, Boulevard Voltaire