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La prochaine fois qu’on vous reprochera de véhiculer des idées toutes faites sur les « jeunes », vous pourrez renvoyer vos interlocuteurs à Mektoub. Dans cette série diffusée sur YouToutube, les personnages semblent incarner tous les clichés possibles mais les spectateurs s’y reconnaissent – la série cartonne –, preuve que la réalité ne doit pas en être très éloignée. Loin des fantasmes d’un cinéma français qui n’imagine que des jeunes des banlieues brisant les déterminismes et les préjugés en devenant qui avocat (Le Brio, 2017), qui ténor d’opéra (Mes frères et moi, 2022), on y trouve des jeunes à barbe, à casquette, à sweat à capuches, à jogging, des jeunes femmes musulmanes tantôt modernes et occidentalisées, tantôt voilées et non moins modernes, tout ce petit monde baignant dans l’eau trouble des trafics et des règlements de comptes, et s’en trouvant bien – pourvu qu’il y ait un concert de rap en vue.
Gage de réalisme, la série est écrite et produite par un de ces « jeunes », Hassan Abbazi, un Auxerrois (comme la poétesse Marie-Noël) qui y joue aussi le personnage principal. Une sorte de Plus belle la vie « version halal », dit Le Point. Nous dirions plutôt, question manque de fluidité, mauvais jeux d’acteur et dialogues insipides : une sorte de Hélène et les garçons, version kebab.
Extrait de l’épisode « Bizness et problèmes », à dire avec le ton comme nous disait l’instituteur avant que nous récitions une fable de La Fontaine : « — Sa mère ! J’allais le fumer avec ses srabs [ses potes]. — T’as un pétard sur toi, narvalo, là ? Pourquoi tu l’as pas fait ? — Parce que y’avait les decks [les flics]. — Y’avait les shtars [les flics] ? (…) Frère, t’as pas à le buter comme ça en pleine journée, t’es con ou quoi ? En plein jour ! Et même faut pas le buter comme ça. Pas maintenant. Faut qu’y souffre ç’bâtard. »
Ou, plus nostalgique : « — Ah gros ! C’est plus comme avant, le quartier, frère. Les keufs y z’ont tapé, frère. Y a plus rien, ma gueule. » Au fait, que signifie « Mektoub » ? C’est le destin, c’était écrit – mais pas par Audiard, vous l’aurez compris. Ici toute chose débute par« inshallah» (si dieu veut) et se conclut sur un « mektoub »(c’était écrit). Des mots tellement communautaires et significatifs que Inshallah et Mektoube sont aussi des noms de sites de rencontres réservés aux musulmans maghrébins vivant en France.
Avant Mektoub, Hassan Abbazi avait créé la série Un rebeu, une Française, grossier décalque de Un gars, une fille. Distribution des rôles : Hassan, « Le “rebeu” du couple. Il est souvent macho. Sa petite copine est souvent énervante » ; et Marine, « La française du couple. Elle est un peu bête. Elle est surtout curieuse et ne connaît pas l’univers de son petit copain. » En somme, l’assimilation de Marine restait à faire. Dans Mektoub, la question est réglée, les quelques « de souche » qui apparaissent, Camille, Margot, Julie, n’ont d’existence que par leur fréquentation des « jeunes », dont les codes vestimentaires, langagiers et comportementaux font désormais partie de leur ADN sans pour autant leur valoir beaucoup de considération. Les personnages de Mektoub vivent sans aucun contact avec la culture d’origine de la terre où ils vivent. Ils ont déjà fait leur partition et réalisé l’entre-soi d’un monde de rebeus (avec quelques Noirs de service). En cela la série, si médiocre soit-elle, est hautement révélatrice de ce qui est à l’œuvre.
Samuel Martin, Boulevard Voltaire