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En cette rentrée scolaire, Jean-Paul Brighelli dénonce dans son nouvel essai, l’École à deux vitesses (éd. de L’Archipel), les failles du système scolaire. Un livre qui appuie là où ça fait mal, et qui est présenté ainsi par son éditeur :
« La mixité scolaire est une supercherie. Neuf élèves sur dix sont con cernés dans des établissements de second ordre, pour ne pas dire des ghettos éducatifs. Les autres pratiquent l’entre-soi. C’est cela, l’” héritocratie “.
Depuis quarante ans, les politiques publiques ont prétendu rectifier ce déséquilibre. Elles sont parvenues au résultat inverse : une minuscule élite sociale a élaboré les conditions de sa reproduction.
Un système à deux vitesses s’est mis en place, conforté par toutes les décisions prises pour –‑prétendument – l’empêcher.
L’égalité des chances et la mixité sociale sont pourtant de l’intérêt des ” bons élèves “, qui ont tout à y gagner ; mais aussi de la nation, qui se suicide lentement en se privant de 90% de ses forces vives.
Non, l’évaluation permanente des ” compétences ” ne prime pas la transmission des savoirs. Non, la vocation de l’enseignement n’est pas de faire garderie, de surnoter les élèves ni d’encenser le ” vivre ensemble “. Et non, les pauvres ne sont pas plus bêtes que les riches.
Il est temps d’amener chaque élève au plus haut de ses capacités, par un travail assidu, des horaires et des programmes différenciés.
Temps de restaurer un authentique élitisme républicain, digne d’un pays qui fut jadis l’exemple de l’efficience scolaire.
Monter le niveau d’exigence, c’est élever le niveau de tout un peuple.
Sans quoi nous allons droit vers une déflagration qui ne serait pas seulement scolaire »
Nous avons interrogé l’auteur sur son ouvrage, salutaire.
Breizh-info.com : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Jean-Paul Brighelli : Normalien, Agrégé de Lettres, j’ai enseigné à tous les niveaux, du collège rural aux CPGE, en passant par l’université, les lycées des ZEP les plus sombres, lycées techniques, etc. J’ai diverses spécialités : la littérature bien sûr, mais aussi la Corse, l’érotisme, le Mont Saint-Michel (qui est en Normandie…), et j’en oublie. J’ai signé des manuels scolaires, des romans policiers et d’autres à caractère érotique très prononcé, des scénarios, des monographies, des documentaires, des essais enfin. Après 45 ans ininterrompus de cours, j’ai pris ma retraite il y a deux ans.
Breizh-info.com : Qu’est-ce que vous appelez l’héritocratie ? Et à quel point est-ce développé en France ?
Jean-Paul Brighelli : Le mot a été forgé en 2021 par le sociologue Paul Pasquali, et s’inspire des Héritiers, de Bourdieu et Passeron (1964). La thèse (et la réalité) est que le dessus du panier, dans l’Ecole française, est presque exclusivement réservé aux « fils et filles de » — la caste qui dirige le pays a forgé un système scolaire visant à légitimer ses propres enfants, quel que soit leur niveau réel. Les « grands » établissements privés ou publics n’ont d’autre visée.
Breizh-info.com : Votre œuvre – qui englobe vos différents livres – arrive donc à la conclusion que non seulement l’Etat fabrique des « crétin » volontairement, mais qu’en plus il permet à une petite caste de se reproduire entre elle pour s’assurer des lendemains de pouvoir qui chantent. Sommes-nous encore en démocratie dès lors ?
Jean-Paul Brighelli : SI vous entendez par « démocratie » le gouvernement du peuple pour le peuple, bien sûr que non : la démocratie a été inventée à l’origine pour des cités-Etats regroupant un petit nombre de citoyens (et qui étaient en fait assez peu démocratiques, voir Athènes où moins de 5% de la population étaient admis à voter). Mais surtout, nous ne sommes plus en République, qui fonctionnait (voir Condorcet) sur un élitisme visant à sélectionner les citoyens les plus doués et les plus méritants. On en est très loin.
Breizh-info.com : Le terme mixité sociale, si souvent employé par les décideurs, ne cache-t-il pas la volonté d’imposer la mixité ethnique… et ses conséquences pour les enfants, alors même qu’une bonne partie des parents fuient justement cette mixité ethnique pour leurs bambins (tout en refusant de se l’avouer publiquement d’ailleurs) ? Pourquoi devrait-on imposer « la diversité » à des familles qui bien souvent la fuient, ayant compris l’impossibilité à « vivre ensemble » ? Est-ce réellement à l’Etat de pratiquer la coercition à ce niveau ?
Jean-Paul Brighelli : Pour la Gauche comme pour l’essentiel de la Droite et pour les syndicats, la mixité sociale est quantitative : on insère une petite quantité de pauvres (dénommés « boursiers ») dans le système, de façon à avoir l’air d’être démocrates, mais en se débrouillant pour qu’ils n’arrivent nulle part. Ainsi Richard Descoings, alors directeur de Sciences-Po Paris, infiltre-t-il dans son école, à partir de 2000 ? des lycéens arrivant de lycées périphériques. Dont une petite part d’enfants d’immigrés : Najat Vallaud-Belkacem est un exemple de cette discrimination politique à la française. Mais aucun d’entre eux n’a jamais réussi l’ENA, qui suppose une connivence culturelle que l’on s’est bien gardé de donner à ces entrants privilégiés. C’est moins pour se garantir des minorités ethniques que pour contourner la carte scolaire que les parents fuient les établissements auxquels ils sont administrativement rattachés — y compris les familles maghrébines qui à Marseille inscrivent leurs rejetons dans des établissements privés catholiques — Lacordaire, par exemple.
Que ce soit l’Etat ou les Régions qui pèsent sur les décisions, il faudra bien laisser du champ à des foules de classes moyennes actuellement paupérisées qui rêvent pour leurs enfants d’un autre avenir qu’une ubérisation forcée et un salaire universel de 600€ — proposition d’un candidat de gauche en 2017.
Breizh-info.com : L’explosion du nombre d’écoles hors contrat en France n’est-il pas finalement un immense bras d’honneur adressé au système héritocratique que vous décrivez dans vos livres ?
Jean-Paul Brighelli : Une école hors contrat n’est pas forcément une bonne école. Citez-m’en une seule qui soit au niveau d’Henri-IV, de Louis-le-Grand, de Stanislas (privé sous contrat), du Parc à Lyon, de Fermat à Toulouse, etc. Ce n’est pas magique : les bons enseignants coûtent cher, vous savez. Et les écoles hors contrat ne les recrutent pas volontiers — marché oblige.
Breizh-info.com : Votre conclusion, en forme de programme, prône notamment la méritocratie. N’était-ce pas le cas par le passé et pourquoi cela a échoué ?
Jean-Paul Brighelli : Ce fut le cas sous la IIIe République, parce qu’on avait à cœur, après 1871, de mettre en place une école aussi efficace que celle créée en Prusse par Bismarck, que Ferdinand Buisson, le conseiller de Jules Ferry, avait longuement analysée. Il fallait préparer la prochaine guerre — et de fut encore vrai dans les années 1920. Nous n’avons plus de guerre à préparer — sinon une guerre civile, à laquelle l’actuel système scolaire nous mène tout droit.
Breizh-info.com : Quelles autres mesures immédiates seraient nécessaires, selon vous, pour redresser l’école en France, rapidement ?
Jean-Paul Brighelli : Il faut complètement changer de logiciel. Je ne vais pas énumérer ce que je prône dans mon livre, mais il faudrait revenir sur les trois moments de la présente apocalypse : le collège unique institué par Giscard / Haby en 1976 et la « massification » qui en a résulté, l’élève au centre du système, et doué du droit de s’exprimer, institué par la loi Jospin (1989), et le Socle de compétences imposé par l’UE avec le Protocole de Lisbonne (2000). Ces trois moments correspondent aux besoins du néo-libéralisme né du second choc pétrolier, qui veut 10% de cadres et 90% de consommateurs — un mot qui commence mal.
Breizh-info.com : Ne peut-on pas imaginer un système scolaire avec des enseignements généraux le matin, et des enseignements techniques l’après midi, qui aboutirait à ce que chaque élève obtienne à 16 ans un diplôme général, et un diplôme technique ?
Jean-Paul Brighelli : Je crois plutôt qu’il faut instituer des certificats (comme les actuelles certifications en langues) par matière, supprimer le Bac qui de toute façon est mort, et laisser le Supérieur choisir qui l’intéresse en fonction de ses appétences. Quant à l’enseignement professionnel, il faut lui redonner un vrai lustre en y renforçant nettement la culture générale. En attendant, il faut mettre le paquet sur le Français, les maths et l’Histoire — parce qu’un peuple sans mémoire est un peuple mourant.
Breizh-info.com : Avec le recul, pouvez-vous dire que vos livres ont de l’influence dans les cercles de décideurs autour de l’Education nationale ? Et si oui, qu’est-ce qui bloque alors ?
Jean-Paul Brighelli : Je suis comme Cassandre : je dis la vérité, mais personne ne l’entend — ou avec un retard considérable. Ce qui bloque, c’est tout bonnement que le système est parfait au gré de ceux qu’il favorise, et qui n’ont aucune envie que leurs rejetons soient concurrencés par des élèves plus doués mais non issu de leur étroit milieu. La France a besoin de sélectionner et d’exploiter tous ses talents, en permettant à chacun d’aller au plus haut de ses capacités. Les prétendues élites d’aujourd’hui sont d’une grande pauvreté — un constat partagé par tous les jurys de concours (entre autres l’ENA…). Si les éminences qui nous gouvernent avaient un peu d’habileté et de génie, nous n’en serions pas là.
Propos recueillis par YV
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