Dans la Russie de Poutine, immersion au cœur de la jeunesse russe

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Julien Lusinchi , Revue Éléments

En France, il y a la générations Z. En Russie, il y a la génération Poutine, en référence au célèbre roman de Pélévine : « Generation “P” ». Cette génération Poutine est celle qui naquit après 2000. Elle n’a connu ni la monotonie du communisme, ni la folie des années 90, son seul référentiel c’est Poutine. Nostalgique d’un passé fantasmé ou au contraire tournée vers l’avenir et la Silicon Valley, cette jeunesse est à l’image de son pays : paradoxale et contrastée. Durant près de trois ans, Julien Lusinchi a vécu au cœur de cette jeunesse russe, partageant son quotidien dans un dortoir universitaire à Moscou. Rien de tel, pour découvrir cette génération, que de se plonger dans l’ambiance d’un « obchïéjitïé » (le dortoir). Contrairement aux résidences universitaires françaises où les places se font rare, le dortoir collectif en Russie permet à tout étudiant russe de disposer d’un logement à moindre frais le temps de ses études. Dans un pays où l’université est restée l’un des principaux ascenseurs sociaux du pays : l’obchïéjitïé est l’un des modes d’habitations les plus prisés des jeunes étudiants. Ce qui en fait un excellent observatoire de cette génération. Immersion au cœur de la jeunesse russe.

Jeune lecteur de Jules Verne, j’ai découvert la Russie par la lecture de Michel Strogoff. Immergé dans les grandes pleines de Sibérie, la foire orientale de Nijniï Novgorod et les attaques de nomades tataro-mongoles : l’atmosphère grandiose qui ressortait du roman m’avait poussé à l’apprentissage du russe. Quinze ans plus tard, en 2019, je décidais de partir là-bas pour poursuivre mon master avec une bourse d’étude délivrée par le ministère des Sciences et de l’Éducation supérieure. En attente de mon affectation dans l’un des onze dortoirs de l’université, je séjournai à l’hôtel Gamma, qui se situe dans un immense complexe hôtelier construit pour les Jeux olympiques de Moscou en 1980. Situé à l’est de Moscou, à côté du parc Izmaïlovo et du Kremlin, le parc d’attraction du même nom, ce complexe hôtelier sert désormais pour la réception de séminaires d’entreprise, d’hommes d’affaires en transit et autres voyageurs aux profils les plus diverse. Durant ce mois et demi, je découvris ce monde un peu étrange où se mêlaient prostituées de luxes, salariés provinciaux en déplacement, étudiants russes et étrangers en recherche de logements et businessmen aux affaires parfois douteuses.

Bienvenue à la « Chaussée des enthousiastes »

Puis vers la fin novembre un vendredi soir en rentrant des cours, je recevais un mail de mon université pour m’annoncer ma nouvelle affectation à l’obchïéjitïé 2 (dortoir 2). J’avais donc le week-end pour organiser mon déménagement vers mon nouveau « chez moi ». Voulant profiter jusqu’au bout des conforts et services de cet hôtel trois-étoiles, je prolongeais mon séjour jusqu’au dimanche soir. Le samedi soir, je rencontrai un Arménien russe, à la silhouette massive, qui, sévèrement alcoolisé, m’invita sans possibilité de refuser à aller boire des bières dans le bar « chic » de l’hôtel. L’homme, au caractère sanguin et à l’allure brutale, s’emportait facilement, vociférant contre ses partenaires russes, répétant à l’envi que ces derniers étaient des gens dangereux prêts à tout pour vous voler et vous escroquer : on a les fréquentations que l’on mérite, pensais-je. Ayant appris le russe à l’école, je comprenais difficilement ce drôle d’énergumène, au langage de charretier. Enchaînant les verres de vodka et les pintes de bière, j’acquiesçais plus ou moins subtilement à toutes ses allégations de peur de le vexer.

Le lendemain, je préparais mes affaires pour me rendre dans mon nouveau logis situé à deux stations de métro de mon hôtel. À la sortie du métro, je découvris mon nouveau quartier : Shosse Entousiastov, la « Chaussée des enthousiastes ». Pour mon grand bonheur, le dortoir se trouvait à quelques dizaines de mètres du métro (contrairement à Paris, le réseau métropolitain moscovite est beaucoup moins dense, il n’est donc pas rare de vivre à plus d’une demi-heure à pied de la station de métro la plus proche). Une fois devant la porte d’entrée se dressait devant moi un bâtiment de deux étages aux murs décrépits et jalonné de balcons repartis de manière aléatoire, prêts à s’effondrer à tout instant. La porte métallique, caractéristique des habitations urbaines russes, est fermée. J’ai sonné, et la voix d’une vieille femme visiblement agacée par le dérangement m’a demandé ce que je venais faire ici. Après m’être expliqué, on m’ouvrit enfin. Et c’est ainsi qu’un dimanche soir en cette fin d’automne, je fis mes premiers pas dans ce dortoir où je séjournerai pendant un peu plus de deux ans.

La « coloc » à la mode russe

Lieu de résidence des trois héroïnes du célèbre film soviétique Moskva slezam nie vérit (Moscou ne croit pas aux larmes) du réalisateur Vladimir Menchov, l’obchïéjitïé (des mots russes obchïe : « commun » et jitïe : « vie ») est une institution à part entière en Russie. Ces dortoirs collectifs ont permis de loger les étudiants boursiers les plus pauvres des universités à partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle, en même temps que naissaient les premières universités d’État du pays1. Ainsi pour une somme d’argent presque symbolique, les étudiants boursiers n’ayant pas les moyens de louer un logement en ville peuvent y séjourner. Les règles collectives y sont strictes et les conditions de vie précaires2. Ces étudiants ou boursiki (mot d’argot à consonance péjorative signifiant boursier) sont par ailleurs méprisés par leurs camarades, du fait des différences de classe sociale entre étudiants de la ville et étudiants pauvres de la province.

Ce n’est que sous l’ère soviétique que ce système d’habitation s’est institutionnalisé. La guerre civile et l’exode rural provoqué par l’industrialisation des plans quinquennaux ont provoqué une pénurie de logements dans les grandes villes ; la Seconde Guerre mondiale a aggravé la situation, qui est devenu un des sujets les plus préoccupants de l’après-guerre. Elle va obliger les autorités soviétiques à créer de nouvelles formes d’habitation pour y loger cette nouvelle classe ouvrière. Les appartements bourgeois des centres-villes sont alors transformés en logements collectifs. Chaque famille dispose d’une pièce à vivre, mais se partage cuisine et salle de bain. Quant aux jeunes, étudiants ou travailleurs, ils sont désormais logés dans ces fameux dortoirs collectifs.

Gratuit, vétuste et collectif

Il faut cependant bien comprendre que ces nouveaux logements n’étaient pas de simples dortoirs. C’étaient des lieux de vie. Destinés à la jeunesse, ils devaient servir de cadre de vie au futur Homo sovieticus. Outre les chambres, une cuisine commune et des salles de bain, on y trouvait également une bibliothèque bien garnie, dont on peut aisément deviner les auteurs et les sujets de prédilection, une salle de sport, une salle de réunion et parfois même une garderie pour les enfants. Ce bit (mot intraduisible littéralement, pouvant signifier « habitus », « mode de vie ») d’un genre nouveau a joué un rôle essentiel durant toute l’époque communiste tant il a contribué à uniformiser et façonner le mode de vie de la jeunesse russe. Si aujourd’hui ce format d’habitation a perdu en popularité, de nombreux étudiants et travailleurs immigrées continuent d’y vivre le temps de leurs études. En effet, les universités russes allouent à tout étudiant ne résidant pas sur place une chambre en dortoir. Le loyer, quasi symbolique, varie entre 1 000 et 2 000 roubles (soit entre 11 et 22 euros) ; et il est gratuit pour les étudiant boursiers, quelque 20 % des étudiants.

Pour les étudiants étrangers, habitués aux standards européens, l’obchïéjitïé est au premier regard un endroit précaire, voire insalubre. Marc ex-étudiant français, ayant effectué un échange universitaire avec le MGU (Université d’État de Moscou3) évoque ses premières impressions en Russie : « C’était la première fois que je venais en Russie. Alors que jusque-là et depuis mon arrivée à l’aéroport, tout me paraissait très moderne, la découverte du dortoir du MGU, situé dans le bâtiment principal de l’université, fut un choc. La décoration n’avait pas changé depuis Staline, les murs étaient couverts de vieux lambris ; et au sol, de grands tapis rouges servaient à protéger le parquet. Je disposais d’un petit appartement avec une salle de bain, une toilette à l’origine allemande, un séjour et deux petites chambres individuelles. Dans ma chambre, le lustre menaçait de s’effondrer à tout instant, un bidon d’eau stagnante maintenait la fenêtre fermée, car le loquet était cassé… J’appris plus tard qu’en matière de dortoir avoir une chambre individuelle, c’était le luxe absolu. Ce qui m’a saisi le plus, c’est le contraste impressionnant entre l’aéroport flambant neuf, le train express dernier cri pour se rendre dans le centre-ville, l’imposant bâtiment de l’université et ma chambre étudiante qui tombait en lambeaux. »

Un chez soi chez les autres

Le manque de place, sans compter les prix exorbitants de l’immobilier à Moscou, fait que des travaux de rénovation sont inenvisageables. Ils signifieraient la fermeture provisoire d’un dortoir pour une durée d’un ou deux ans. Les universités préfèrent donc acheter ou construire en périphérie de la ville, ce qui n’est pas sans poser problème pour certains étudiants, comme en témoigne Maria, jeune professeur de russe pour étudiants étrangers à la Haute école d’économie de Moscou (HSE) : « Lorsque j’étais étudiante, je logeais dans l’un des immenses nouveaux dortoirs de l’université, à Dubké, à 30 km à l’ouest de la capitale. Pour me rendre à l’université tous les matins, je devais prendre un bus, puis le train jusqu’à la gare Biéloruskaïa et enfin le métro. En tout et pour tout, j’en avais pour quatre heures de transport aller-retour par jour. Un soir d’hiver, en première année, j’ai craqué. Il neigeait, il faisait froid et la nuit était déjà tombée. J’ai pris le train et je suis rentrée à Vladimir chez mes parents. C’était beaucoup plus loin bien sûr mais disposer d’un bon repas chaud avec ma famille autour, cela m’a soulagé l’instant d’un soir, car je n’en pouvais plus de ce bâtiment en bêton laid et impersonnel, de ces déplacements à n’en plus finir, de ces attentes interminables à l’arrêt de bus ou le long des quais de gare sous le vent glacial de l’hiver. »

Mais la plupart des étudiants russes s’accommodent de cette précarité, et se montrent très débrouillards et imaginatifs pour améliorer leur confort : led multicolores, guirlandes, posters, photos, étagères, écrans plats, micro-ondes… les chambres étudiantes ressemblent à un joyeux bordel, insolite et baroque où chacun ajoute sa touche personnelle sur les murs de papier peint verdâtre. Ce goût accru pour la décoration s’explique aussi pour des raisons culturelles. Pour beaucoup de jeunes russes, la vie en dortoir est leur première expérience de vie en dehors de la maison familiale. Katia, ancienne étudiante en philologie au MGU, explique : « Lorsque je suis arrivée dans ce dortoir, tout était petit, nous partagions la chambre à trois et j’avais très peu de place pour disposer mes affaires. Malgré tout, c’était la première fois que je me sentais chez moi. Je pouvais arranger et décorer ma chambre à ma guise, aller et venir sans être embêtée. Dans notre maison familiale, nous vivions à quatre avec mon frère. Et notre maison, comme souvent en Russie, ne comporte aucune porte, la notion d’intimité personnelle m’était jusque-là complétement étrangère. »

L’intimité ne survit pas à la collectivité

L’intimité personnelle reste cependant relative. Les bâtiments sont truffés de caméras de surveillance, censées assurer la sécurité des étudiants, bien qu’il n’y ait pas de vol entre étudiants. L’administration ainsi que les autres étudiants peuvent se montrer très intrusifs. Quelques jours seulement après mon installation, à sept heures du matin, la « commandante » frappe à la porte et rentre sans préavis : « Inspection des chambres aujourd’hui, j’espère que vous avez bien rangé depuis mardi dernier parce que la dernière fois, c’était le foutoir ! » Cette intrusion ne semblait pourtant pas choquer mes voisins de chambrée, qui ne se firent pas prier pour se rendormir. Héritage de l’Union Soviétique, peut-être, la notion de vie privée en Russie en général, dans un dortoir en particulier, est très abstraite. Ici tout est partagé, les douches, la cuisine ; on entre dans les chambres des uns des autres, sans se préoccuper de savoir si leurs locataires sont occupés ou en train de dormir. Mais cette forme de collectivisme crée une atmosphère chaleureuse et conviviale. Nicolaï, étudiant bulgare en quatrième année de psychologie, raconte ainsi son intégration : « Lorsque je suis arrivé en Russie, je ne parlais pas un mot de russe. Mes premiers mois ressemblaient à un cauchemar. Je dormais à l’hôtel, je ne connaissais personne et je me demandais tous les jours ce qui m’avait pris d’étudier la psychologie ici. À mon arrivée au dortoir, la première chose que j’ai eu envie de faire, c’est de m’enfuir et rentrer chez moi en Bulgarie. Une semaine plus tard, je n’aurais quitté ce lieu pour rien au monde. On m’a très vite intégré malgré mon incapacité à communiquer avec les gens autour de moi. On m’invitait tous les jours à des soirées improvisées dans les chambres, je passais ma vie à boire et à sortir. Ça n’était pas très sein comme rythme de vie, mais je me sentais bien : c’est grâce à ce dortoir que j’ai appris le russe et que je me suis intégré à ce pays. » Ici tout est dans l’affectif et les rapports humains même avec l’administration.

Le règlement : l’officiel et l’officieux

Tout dortoir collectif comporte un règlement intérieur. C’est simple : selon ce règlement, tout est à peu près interdit : fumer, boire, inviter des gens, être en état d’ivresse… Dans la réalité, toutes ces règles sont dérogeables. Il existe en effet un règlement parallèle implicite qui varie d’un dortoir à l’autre. Pour 500 roubles (six euros à peu près), on peut introduire quelqu’un après minuit. Pour enterrer un rapport du commandant en cas d’infraction du premier règlement, un billet ou une tablette de chocolat peut faire l’affaire. Tout se règle au cas par cas. L’essentiel est d’entretenir de bonnes relations avec le personnel administratif. Composées essentiellement de femmes de plus de quarante ans, mal payées, ces babouchkas avant l’heure peuvent se montrer aussi arbitraires que compréhensives, affectives, voire maternelles, ou au contraire faire preuve d’un zèle excessif pour faire respecter le règlement officiel.

Une règle s’impose néanmoins : pas de vague. Un étudiant français en échange à Moscou en a fait les frais : « Je voulais changer de chambre car je ne m’entendais pas du tout avec mon voisin. Malgré toutes mes demandes, l’administration restait implacable. J’ai décidé alors d’écrire au vice-recteur de ma faculté pour résoudre mon problème. Sa réaction ne s’est pas fait attendre, deux jours plus tard j’étais convoqué dans son bureau. À l’intérieur de la pièce, se tenait en plus de lui, le directeur du dortoir et le directeur de mon étage. C’est bien simple pendant une demi-heure on m’a détruit. “Je n’étais qu’un petit étudiant étranger capricieux et égoïste, qui n’avait pas sa place ici.” Je ne comprenais pas grand-chose bien sûr, mais même sans comprendre, le ton et la forme employés suffisaient amplement. À la fin de l’entretien, le vice-recteur a sorti un dossier : il contenait des photos de moi en train de donner de l’argent au concierge pour faire entrer quelqu’un après 23 heures. Il a alors rajouté – c’est simple, la prochaine fois que vous venez vous plaindre de quoi que ce soit auprès de nous, on vous met à la porte et on a tous ce qu’il faut dans ce dossier ! Finalement j’ai quitté le dortoir pour louer mon propre studio. »

Cette anecdote reflète assez bien deux aspects essentiels de la société russe. D’une part, si la corruption y est tolérée, elle représente une épée de Damoclès, qui servira pour n’importe quel prétexte à vous créer des ennuis. D’autre part, le respect des hiérarchies au sein d’une entité sociale est essentiel, enfreindre cet ordre hiérarchique peut vous entraîner de nombreux problèmes.

Un observatoire de la jeunesse russe

À côté des dortoirs étudiants, il existe une tout autre forme de dortoir, bien moins chaleureux et humain : les dortoirs pour travailleurs étrangers. Héritage de la Russie soviétique, de nombreux étrangers venant essentiellement d’Asie centrale viennent chercher du travail dans les grandes villes russes (principalement Moscou et Saint-Pétersbourg). Bâtiment, restauration, barbier, chauffeur, livreur… l’essentiel des « petits boulots » sont occupés par des immigrés. Pour des raisons administratives et des questions budgétaires, la plupart d’entre eux vivent, eux aussi, en dortoir collectif. Ainsi tout autour de la grande ceinture moscovite, d’immenses dortoirs collectifs abritent chacun jusqu’à 2 000 travailleurs immigrés. Si le loyer pour un lit dans une chambre de 10 personnes est très raisonnable, un système de règles particulièrement coercitives, avec amendes à la clef, permet d’enrichir les gardiens et le propriétaire des lieux. Ainsi n’importe quelle infraction, aussi minime soit-elle, est sanctionnée d’une amende pouvant monter jusqu’à 5 000 roubles (60 euros). L’habitat y est précaire et le personnel brutal, voire violent. Andreï, ayant occupé un emploi dans l’un de ces établissements, raconte : « Un jour alors que j’inspectais les chambres, j’ai surpris un gars allongé sur son lit avec ses vêtements de chantier. Je l’invective et le verbalise. Mais ce dernier refuse d’obtempérer, menaçant d’aller se plaindre auprès de mon supérieur et sortant de la pièce. Cinq minutes plus tard, j’entends du bruit et des insultes dans le bureau du directeur, j’entre et vois ébahis mon directeur en train de frapper violement ce pauvre Ouszbek qui avait refusé de payer son amende. »

Cette situation n’émeut néanmoins pas le moins du monde la population locale qui se montre d’ailleurs très hostile à l’encontre de cette immigration de travail, pourtant très rentable et peu coûteuse, permettant à Moscou d’être l’une des villes les plus propres du monde et de proposer des services individuels à bas prix. Voici donc encore un des nombreux paradoxes de cet immense pays que je ne cesse de découvrir.

En somme, l’obchïéjitïé est un phénomène sociologique à part entière ; il comporte ses codes, ses singularités. Mais ces microsociétés sont également des représentations à taille réduite du pays. L’évolution des intérieurs, de la forme du bâtiment et des populations y demeurant sont à l’image de l’évolution du pays. Ils constituent, en d’autres termes, un observatoire de la jeunesse russe et du devenir de leur pays.

1. Lorsque Mikhaïl Lomonossov, célèbre scientifique et philologue russe, fonde la première université de Russie à Moscou en 1755, ce dernier souhaite que son université soit ouverte à toutes les classes sociales. Fils de pêcheur de la région d’Arkangelsk, située sur les bords de la mer blanche à 300 kilomètres au nord-est de Saint-Pétersbourg, son talent précoce pour l’étude des langues et des sciences lui permet de recevoir une bourse d’étude pour étudier les langues anciennes à Moscou. Opposé à son départ, son père refuse de financer son voyage, et Lomonossov quitte son village natal à pied pour Moscou. Vingt ans plus tard après de brillantes études à Kiev, Saint-Pétersbourg, Freiberg et Leipzig en Allemagne, puis une carrière de professeur et chercheur, il sollicite son ami et protecteur Ivan Chouvalov, conseiller et favori de l’impératrice Élisabeth Ire de Russie, pour la création d’une université à Moscou où les cours seraient donnés en russe (au XVIIIe siècle, le français et l’allemand sont prédominants au sein de la haute noblesse russe. Dans les collèges et lycées pétersbourgeois les sciences humaines et naturelles y sont donc tout naturellement enseignées dans ces deux dernières). Son université connait un franc succès et servira de modèle aux futures universités. Interdites seulement aux serfs, ces universités, qui fleurissent un peu partout à partir de la seconde moitié du XVIIIe sont avec les académies militaires les principaux ascenseurs sociaux dans la Russie impériale, soviétique et même contemporaine.

2. Pour une histoire de l’apparition des dortoirs, voir : https://inforr.ru/news/70.php

3. L’université d’État de Moscou, celle-là même fondée par Lomonossov, est la plus prestigieuse université du pays. Son bâtiment principal, situé sur la colline aux Moineaux, au sud-ouest de Moscou, est la plus grande des sept tours moscovites construites par Staline. Elle abrite désormais la faculté de géologie et de biologie de l’université ainsi que l’un des nombreux dortoirs de l’université.

Lu dans Revue Eléments de civilisation Européenne

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