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++ WEBTUBE : Le monde du cinéma, de la culture, de l’audiovisuel, est en pointe sur le wokisme, ce que montre cet article. Pourtant, il ne fait pas recette, financièrement, et certains gros acteurs du cinéma en reviennent même. L’idéologie sera-t-elle, selon vous, plus forte que l’appât du gain ? Finalement le wokisme ne va-t-il pas s’effondrer faute d’être un « marché » rentable ?… La suite dans l’article de Breizh-info.
Comment le wokisme transforme-t-il les films, les séries et, plus largement, l’imaginaire de notre époque ? Pourquoi Friends, Psychose, Intouchables et Game of Thrones ne pourraient-ils plus être produits tels quels aujourd’hui ? Pourquoi les séries Netflix se ressemblent-elles toutes ? Pourquoi les films Disney ne font-ils plus rêver ?
Dans Woke Fiction, un essai percutant, Samuel Fitoussi répond à ces questions et brosse un tableau édifiant du monde de la culture. Il montre que la pression idéologique fait tout d’abord une victime : la liberté artistique. En s’appuyant sur l’analyse de films et de séries à succès, il identifie les injonctions morales qui pèsent sur la création et transforment – le plus souvent à notre insu – notre imaginaire en champ de bataille politique.
Avec lucidité et rigueur, Woke Fiction éclaire les grands clivages idéologiques de notre époque, dévoilant les erreurs de raisonnement dans les discours militants dominants. Une lecture essentielle, à la fois érudite et vivante, pour comprendre ce qui se joue dans la fiction contemporaine et se munir d’arguments solides pour participer au débat d’idées.
Né en 1997, Samuel Fitoussi est diplômé de l’université de Cambridge en économie et d’HEC. Passionné de cinéma, il contribue régulièrement à divers médias. Nous l’avons interrogé sur son excellent ouvrage, édité au Cherche-Midi.
Breizh-info.com : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ? Qu’est-ce qui vous a amené à vouloir enquêter sur le wokisme dans le cinéma notamment ?
Samuel Fitoussi : Passionné de cinéma, j’ai vu les contenus changer au fil des années, en particulier depuis 2020, et perdre en qualité, en acuité psychologique, en réalisme, en humour… En creusant, j’ai découvert que les scénarios doivent désormais souvent répondre à un véritable cahier des charges idéologique.
Il existe désormais un certain nombre de schémas narratifs, de dynamiques relationnelles ou de types de personnages, qui, pour des raisons idéologiques, ne passent plus. Nous pouvons regarder une série qui nous semble apolitique sans nous douter qu’une forte autocensure a existé en amont, au moment de l’écriture, puis de la relecture du scénario par des cabinets de conseils spécialisés en diversité et inclusion (qui se multiplient à Hollywood). Il y a encore 10 ans, les scénaristes se seraient permis d’inclure certaines blagues (aujourd’hui jugées « problématiques »), de montrer des rapports de séduction asymétriques et plus authentiques (on suggèrerait aujourd’hui qu’ils alimentent la « culture du viol »), de montrer un Blanc aider un Noir si l’intrigue l’exige (aujourd’hui, les wokes affirment que cela constitue une négation de l’autonomie des Noirs – c’est le concept du « sauveur blanc »)… C’est pourquoi quand on parle de cancel culture, on passe sans doute à côté de l’essentiel : le problème aujourd’hui n’est pas ce qui est annulé, mais ce qui n’est plus produit, voire ce qui n’est même plus écrit ni imaginé.
Breizh-info.com : Tout d’abord, comment définiriez vous le wokisme ? Peut-on parler de nouvel ordre moral ? Ou de détournement de la nature humaine ?
Samuel Fitoussi : Je définis le wokisme comme ceci :
Le militant woke est celui qui croit que le racisme, la misogynie, la transphobie et l’homophobie sont omniprésents en Occident (même si leurs manifestations sont parfois subtiles, voire invisibles, imbriquées dans des discours et des mécanismes en apparence universels) et constituent le fait social majeur de notre époque. Il pense par conséquent que certains se voient dotés dès la naissance d’un privilège qui les accompagnera à toutes les étapes de leur vie, d’autres d’un handicap presque insurmontable. Cette inégalité des chances n’est pas fonction de facteurs socio-économiques mais des déterminismes identitaires de chacun (couleur de peau, sexe, orientation sexuelle…). Ayant pris conscience de cette réalité, le militant woke doit éveiller les autres aux mécaniques d’oppression qui structurent notre société et, surtout, tenter de contrebalancer le racisme mauvais de la société par un racisme vertueux : il assigne chacun à des catégories identitaires devant être soumises à un traitement différencié.
Breizh-info.com : En quoi l’imprégnation du cinéma, des séries, des films, par cette idéologie anglo-saxonne, constitue-t-elle selon vous un danger réel; notamment pour les générations les plus jeunes ?
Samuel Fitoussi : Les dangers pour la jeunesse sont nombreux, j’en évoquerai trois.
D’abord, les fictions wokes dépeignent l’Occident toujours très négativement : il serait fondamentalement raciste, homophobe et patriarcal ; les noirs, les femmes et les homosexuels y rencontreraient sans cesse des obstacles liés à leur identité. Il est possible qu’en entretenant un récit victimaire, on alimente la paranoïa de millions de jeunes, on les pousse à filtrer la réalité pour ne garder que le négatif, à remplacer la complexité des interactions humaines par des rapports oppresseurs-opprimés, et à déceler dans chacune de leurs déconvenues individuelles la confirmation d’une injustice liée à une identité communautaire. Un des résultats les plus robustes en sciences cognitives, c’est que le cerveau humain est une machine à trouver les confirmations des récits auxquels il a adhéré, même s’il doit pour cela mésinterpréter la réalité. Bref, il est possible que les scénaristes wokes rendent frustrés, malheureux et pleins de ressentiment les gens qu’ils croient défendre. Ou à se construire socialement autour de leur statut de victime de la société, et à devoir dénicher sans cesse de nouvelles injustices dont ils seraient victimes pour s’accrocher à cette construction identitaire.
Deuxièmement, le nouveau paradigme racial (par exemple : l’idée que chaque spectateur ne pourrait s’identifier qu’à des personnages qui lui ressemblent ethniquement, ou qu’un acteur noir ne pourrait doubler la voix d’un personnage blanc et vice versa) crée des barrières entre les gens qui ne se ressemblent pas, congédie l’idée d’une universalité des émotions et de la nature humaine. Pourtant, les films Disney que préfèrent les Français sont Le Roi Lion et Bambi : si l’on peut s’identifier aux tourments d’animaux, alors on peut très bien se reconnaître dans des personnages qui ne partagent pas notre couleur de peau…. Le risque, c’est que le wokisme transforme des caractéristiques biologiques en différences indépassables, cultive et nourrisse les identités particulières plutôt que le sentiment d’appartenance à une humanité commune.
Enfin, sur un tout autre sujet, l’augmentation considérable des personnages transgenres dans les fictions pour enfants – y compris régulièrement sur le service public – pose question. La transition de genre – accompagnée de prises d’hormones et d’opérations chirurgicales – est toujours présentée comme une transformation dont les personnages sortent pleinement satisfaits. Or c’est loin d’être le cas en réalité. Inciter des milliers d’enfants à traduire leur mal-être en dysphorie de genre et à prendre des décisions irréversibles, à un âge où on ne peut se tatouer et encore moins voter, n’est pas forcément une bonne chose.
Breizh-info.com : Votre livre se divise en commandements du wokisme. Il y aurait donc quelque chose de quasiment religieux dans tout cela selon vous ?
Samuel Fitoussi : La rééducation culturelle, la mise au norme de nos films, nos livres et nos séries est en effet pour les wokes presque une nécessité religieuse puisqu’elle est pour eux la mère de toutes les batailles.
D’abord, il y a, au cœur de cette idéologie, un constat (éminemment discutable) sur les sociétés occidentales, qui seraient patriarcales et racistes. Pourtant, la discrimination selon le sexe ou la couleur de peau est illégale. Alors où se trouve – selon les wokes – la source du mal ? Dans nos mœurs, nos conventions sociales, nos représentations collectives, nos inconscients (malades de préjugés). Il en découle que le privé est politique et que le combat pour la justice sociale, gagné dans la loi au 20ème siècle, doit se poursuivre en transformant nos comportements, en nous rééduquant moralement, en révolutionnant nos représentations culturelles. C’est par exemple pour cela que certains éditeurs ont jugé utile de caviarder les romans de Roald Dahl, Ian Fleming ou Agatha Christie en supprimant tous les passages jugés « problématiques ».
Ensuite, l’idée que les artistes ont le devoir moral de guider la société dans le bon sens découle peut-être, au moins en partie, d’une idée fausse de la nature humaine. En 1987, l’intellectuel américain Thomas Sowell a distingué deux visions de la nature humaine. La première est la vision tragique : l’homme possède en lui une part d’ange mais aussi une part d’ombre, le mal est inhérent à la nature humaine et on ne peut le combattre collectivement qu’au prix d’arbitrages coûteux (prisons, police…). La seconde est la vision candide, dont Rousseau est le meilleur ambassadeur : l’homme est naturellement bon et la société le corrompt. Avec cette vision, à laquelle les wokes semblent se ranger, on peut combattre la criminalité en combattant la société. Les criminels ne sont plus la cause des crimes mais les symptômes d’une trop forte prévalence de certains discours ; les harceleurs de rue ne sont plus les responsables du harcèlement mais les produits de nos stéréotypes de genre, les violeurs ne sont pas la cause des viols mais les victimes d’une misogynie qu’ils ont intériorisé en raison d’un « continuum de violence » qui commence avec l’absence de parité autour du barbecue ou l’écriture insuffisamment inclusive. Les scénaristes, parce qu’il est en leur pouvoir de remodeler notre environnement, de bousculer nos représentations culturelles, de combattre les influences corruptrices, auraient donc un lourd devoir moral.
Autrement dit, ceux qui adhèrent à la vision tragique comprennent que si le mal apparait dans les films et les séries (le viol, les féminicides, etc.), c’est parce qu’il est une possibilité humaine intemporelle, une part inexpugnable de notre nature. Ceux qui adhèrent à la vision candide inversent la causalité : le mal serait culturellement construit, la nature humaine serait infiniment malléable et nous reproduirions ce que nous voyons à l’écran.
Breizh-info.com : Quels sont pour vous les films ou séries qui sont le symbole même de cette déferlante woke ?
Samuel Fitoussi : Je ne parle pas de Barbie dans mon livre, mais il est un bel exemple en ce qu’il coche plusieurs cases.
D’abord, l’amour (hétérosexuel) est congédié. Pour beaucoup de militants wokes, l’amour hétérosexuel serait pour les femmes une compromission qui les détournerait de ce par quoi elles s’accompliraient pleinement: la réussite professionnelle. L’an prochain sortira un remake de Blanche Neige. Cette fois, selon l’actrice principale, « Blanche Neige ne sera pas sauvée par le Prince et elle ne rêvera plus de trouver l’amour, elle rêvera de devenir la leader qu’elle doit devenir ». Dans Barbie donc, aucun lien amoureux n’unit les nombreux personnages féminins et masculins ; une des «morales» du film étant même que Ken (méprisé par Barbie) doit apprendre à être heureux seul, doit cesser d’essayer de séduire la femme dont il est amoureux. Au début du film, dans une scène en forme d’hommage à 2001 Odyssée de l’Espace, on apprend que dans les années 70, les poupées Barbie ont permis aux petites filles de ne plus jouer avec des poupées en forme de bébé, les libérant ainsi du devoir de maternité. On voit alors des petites filles fracasser leurs faux bébés contre le sol, exultant de ne plus être obligées de fonder une famille. Puisque dans la logique woke, tout, y compris dans la sphère intime, n’est qu’affaire de domination et de pouvoir – le libre arbitre étant contraint par les pressions sociales que nous aurions intériorisées – les compromis et les efforts effectués par une femme pour un homme ou pour sa famille seraient souvent une forme de servitude volontaire. Aujourd’hui, pour certaines féministes radicales, réussir sa vie c’est obtenir un maximum de pouvoir sur les autres. Féminité toxique ?
Ensuite, l’accent est placé sur la sororité ; ce n’est pas seulement l’amour hétérosexuel qui est congédié, mais aussi la simple entraide entre hommes et femmes. La sororité contre le patriarcat. Un schéma que l’on retrouve – quoique de façon moins caricaturale – dans beaucoup de productions progressistes. Comment l’expliquer ? Trois pistes. D’abord pour beaucoup de scénaristes wokes, le soutien apporté par un homme à une femme serait une négation de l’autonomie féminine, et un mauvais message envoyé aux jeunes femmes (auxquelles il faut apprendre que les femmes – fortes et indépendantes – peuvent réussir seules). Ensuite, il y a, au cœur du wokisme, une vision cynique (et fausse) de la nature humaine, selon laquelle chacun servirait les intérêts du groupe identitaire auquel il appartient. Chaque société serait structurée autour d’un jeu à somme nulle entre hommes et femmes (comme si un homme, guidé par le patriotisme sexuel, souhaitait défendre les intérêts d’autres hommes avant ceux de sa femme, de ses sœurs, de ses filles…) et puisque les hommes s’organiseraient pour faire perdurer le patriarcat, il s’agirait pour les femmes de faire de même pour le combattre. Enfin, désormais, beaucoup d’auteurs wokes rechignent à écrire des scénarios reposant sur une rivalité entre personnages féminins: ces intrigues construiraient un imaginaire problématique qui inciterait les femmes à s’engager dans la compétition intrasexuelle plutôt qu’à s’unir pour défendre leurs intérêts identitaires.
Par ailleurs, le film est faussement subversif, misandre, présente l’Occident comme un enfer patriarcal (dans le film, le conseil d’administration de Mattel est composé exclusivement d’hommes, mais dans la vie réelle, il est composé… de 5 femmes et 6 hommes ; la société a même été fondée et dirigée pendant trois décennies par une femme)…
Breizh-info.com : Le triomphe du wokisme dans la culture et particulièrement au cinéma, sa pénétration grandissante, n’est-elle pas intimement liée au fait que la culture a été, outre atlantique comme en France, totalement abandonnée à une petite minorité agissante, essentiellement d’extrême gauche, qui en a profité pour occuper tous les secteurs clés dans la matière, jusqu’à faire régner une forme de terreur morale y compris sur les décideurs économiques ?
Samuel Fitoussi : Oui. Pour ne prendre qu’un exemple, le directeur des contenus et des programmes de France Télévisions (à la tête d’enveloppes de plusieurs centaines de millions d’euros tous les ans d’argent public, et d’une équipe de centaines de personnes) s’appelle Stéphane Sitbon Gomez, il a été directeur de campagne d’Éva Joly en 2012, et son engagement passé à l’extrême-gauche est de notoriété publique.
L’ironie, c’est qu’à partir des années 60, les philosophes postmodernes souhaitaient déconstruire l’ordre moral bourgeois : selon eux, la classe dominante – en imposant à l’ensemble de la société sa définition du Beau et sa conception du Bien – perpétuait, plus ou moins inconsciemment, un ordre social qui lui était favorable. Aujourd’hui, les wokes qui asservissent les autres à leur conception très subjective de la morale représentent précisément l’élite culturelle du monde occidental. Ils sont minoritaires dans la population mais majoritaires dans l’industrie du cinéma et du théâtre, dans les départements de science sociale de toutes les prestigieuses universités, les grandes entreprises californiennes et dans une poignée d’institutions clé (au hasard : Disney et Netflix, l’Académie des Oscars, des Césars, et souvent, les services publics). Ajoutons que dans ces secteurs, on court un risque social plus grand en déviant de l’orthodoxie woke qu’en y adhérant, d’où l’obéissance d’une partie de la minorité qui pourtant n’est pas convaincue par l’idéologie.
Breizh-info.com : Le monde du cinéma, de la culture, de l’audiovisuel, est en pointe sur le wokisme, nous l’avons vu. Pourtant, il ne fait pas recette, financièrement, et certains gros acteurs du cinéma en reviennent même. L’idéologie sera-t-elle, selon vous, plus forte que l’appât du gain ? Finalement le wokisme ne va-t-il pas s’effondrer faute d’être un « marché » rentable ?
Samuel Fitoussi : Je ne suis pas aussi optimiste. En France, le cinéma est largement subventionné, il n’existe pas vraiment d’obligations de résultats, c’est-à-dire pas vraiment d’obligation de créer des œuvres qui plaisent au public.
Par ailleurs, il ne faut pas sous-estimer que les producteurs, acteurs et scénaristes ne sont pas uniquement des gens cyniques guidés par leurs intérêts économiques. Je montre dans mon livre que beaucoup sont des idéologues, profondément convaincus de la justesse des combats qu’ils mènent. Beaucoup sont prêts, par ce qu’ils croient être leur devoir moral, à consentir à des sacrifices économiques pour ne pas créer d’œuvres « problématiques ».
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