. Véronique Bouzou : « Les professeurs s’auto-censurent car ils n’ont pas envie de devenir des cibles sur les réseaux sociaux. »

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++ WEBTUBE : Véronique Bouzou est professeur de français depuis une vingtaine d’années et enseigne dans un collège public de région parisienne. Elle vient de publier « Un monde sans profs », fiction dans laquelle elle décrit les problèmes qui minent le système scolaire français. Nous l’avons interviewée ci-dessous au sujet de son livre.

Breizh-info.com : Pouvez- vous vous présenter à nos lecteurs ?

Véronique Bouzou : Professeur certifiée de Lettres modernes en région parisienne depuis vingt-cinq ans (comme le temps passe !), j’ai commencé ma carrière dans des collèges étiquetés alors sous le doux euphémisme de « sensibles ». Pas étonnant dès lors si j’ai choisi d’intituler mon premier livre paru en 2005 Manuel de survie à l’usage d’un prof de banlieue… Tout un programme !

Puis au fil des années, j’ai continué à écrire pour témoigner et analyser ce que je vivais au quotidien. Les essais se sont succédé : Confessions d’une jeune prof (Bartillat, 2005), Le vrai visage de la téléréalité (Jouvence, 2007), L’École dans les griffes du septième art (Éditions de Paris, 2008), Ces profs qu’on assassine (Jean-Claude Gawsewitch, 2009), Je suis une prof réac et fière de l’être (Éditions du Toucan, 2012) et Génération Treillis (autoédition, 2017).

Dans chacun d’eux, j’ai abordé la thématique de l’enseignement et de l’éducation à travers un angle bien précis : l’attrait de la téléréalité chez des jeunes cherchant à devenir « stars », le traitement caricatural de l’école au cinéma, le mal-être des enseignants qui ont peur de « finir à la Verrière », c’est-à-dire, dans un établissement de santé psychiatrique, le politiquement incorrect pour une prof de banlieue ou encore le rôle que pourrait jouer l’armée pour la sauvegarde de l’autorité.

Enfin, je me suis orientée vers la fiction pour imaginer l’école du futur où Miss Robot prend la place d’une enseignante dans Les hussards noirs de la robotique (autoédition, 2021). Dans mon dernier livre, Un monde sans profs (autoédition, 2023), j’ai décidé de raconter le parcours de dix professeurs fictifs confrontés aux dysfonctionnements du système éducatif.

Breizh-info.com : Qu’est-ce qui vous a inspiré à écrire “Un monde sans profs” et comment cela reflète-t-il vos expériences personnelles dans le système éducatif ?

Véronique Bouzou : Tous les enseignants – collègues ou confrères – que j’ai pu rencontrer durant toutes mes années passées à l’Éducation nationale m’ont inspiré les personnages d’Un monde sans profs. Pour bon nombre d’entre eux, des idéalistes soucieux d’instruire les élèves mais désillusionnés par un système ubuesque où les directives ministérielles trop souvent déconnectées de la réalité vont et viennent au gré des locataires de la rue de Grenelle.

Des professeurs confrontés à des incivilités répétées de la part de certains élèves qui ne respectent plus aucune figure d’autorité. Des professeurs sceptiques devant des idéologues désireux de diffuser le plus largement possible le wokisme à l’école. Enfin, des professeurs démunis devant une forme de pédagogisme qui a largement contribué à une certaine “désinstruction” de la jeunesse prise en otage par des pédagogues auto-proclamés responsables du laxisme et de la faillite actuelle du système éducatif.

Les professeurs de mon livre ont les yeux grand ouverts. Ce n’est, hélas, pas le cas de tous les enseignants. Serait-ce donc leur extrême lucidité qui conduit mes personnages à démissionner ? Sans doute… même si, certains, dont je fais (encore) partie, préfèrent rester coûte que coûte, derniers remparts face à la déliquescence de l’école. Comme dirait le célèbre Cyrano de Bergerac avec panache : « C’est encore plus beau quand c’est inutile ».

Breizh-info.com : Parmi les défis actuels que rencontrent les professeurs, lesquels vous semblent les plus urgents et pourquoi ?

Véronique Bouzou : L’école étant en quelque sorte un miroir de la société, les défis actuels ne manquent pas ! Endiguer en priorité la crise de l’autorité. Les professeurs se plaignent souvent de devoir enseigner dans un brouhaha permanent. C’est pourquoi, les élèves qui se comportent mal et qui gênent systématiquement le bon déroulement des cours doivent pouvoir être exclus.

L’autorité du professeur passe également par la reconnaissance de son expertise en matière disciplinaire. En guise d’exemple, si un adolescent obtient de piètres résultats à la fin de sa scolarité au collège, il ne devrait pas être en mesure d’exiger le passage dans une voie qui ne lui est visiblement pas appropriée. Il faut donc en finir avec le clientélisme et l’assistanat : aux élèves de retrouver le goût de l’effort et non aux professeurs de leur mâcher le travail en permanence !

Mettre un terme ensuite au nivellement vers le bas et à la déculturation. « Si les gens ne savent pas bien écrire, ils ne sauront pas bien penser, et s’ils ne savent pas bien penser, d’autres penseront à leur place. » écrivait de manière prémonitoire George Orwell en 1949 dans son roman dystopique 1984. Il faudrait donc déjà que tous les enseignants puissent être dotés d’une vaste culture générale, d’une solide maîtrise de la langue et de compétences disciplinaires irréprochables. Or, étant donné que le nombre de candidats au concours de recrutement des professeurs se réduit à peau de chagrin, les nouvelles recrues ne sont pas toujours à la hauteur !

Breizh-info.com : Comment la tendance du “politiquement correct” affecte-t-elle, selon vous, la capacité des enseignants à instruire efficacement ?

Véronique Bouzou : Les professeurs s’auto-censurent car ils n’ont pas envie de devenir des cibles sur les réseaux sociaux. Tous les sujets peuvent aujourd’hui passer pour “sensibles” quand ils sont mal interprétés par des jeunes manquant singulièrement de recul et de culture générale. Résultat : certains professeurs se taisent, quand d’autres préfèrent s’en tenir à la doxa. Après tout, pourquoi les enseignants qui ne sont nullement protégés devraient-ils prendre tous les risques quand les dirigeants politiques se montrent pour la plupart si lâches sur ces mêmes sujets ?

Breizh-info.com : Parmi les fléaux responsables de la destruction progressive de l’Education nationale et de l’instruction de nos enfants, peut-on citer le gauchisme qui a pénétré largement l’école depuis 1968, mais aussi l’immigration extra-européenne massive qui a totalement chamboulé le contenu des enseignements, mais aussi les comportements et les codes culturels dans les salles de classe ?

Véronique Bouzou : Oui, tout cela à la fois.

Breizh-info.com : Face à la crise de la vocation enseignante que vous décrivez, quelles mesures proposez-vous pour revitaliser la profession ?

Véronique Bouzou : Pour commencer, il faudrait déjà que des étudiants qualifiés aient envie de se présenter aux concours de recrutement que propose l’Éducation nationale ! Les salaires de tous les enseignants français ne devraient pas rester à la traîne de leurs homologues des pays membres de l’OCDE. Bien sûr, le salaire n’est pas tout : d’autres facteurs que la rémunération entrent en jeu dans la désaffection de ce métier comme le manque de perspectives professionnelles en cas de reconversion.

L’imbroglio des mutations pose également souci puisque les enseignants n’obtiennent pas toujours les vœux de leur choix en matière de lieu d’affectation, surtout les premières années. Ils se retrouvent alors isolés, loin de leur famille – parfois de leur conjoint. Il faudrait donc que la gestion des personnels puisse revêtir une approche plus humaine et prenne davantage en compte les demandes des néo-titulaires.

Enfin – et surtout – si beaucoup hésitent à embrasser la carrière d’enseignant, c’est très certainement qu’ils redoutent de devoir gérer les problèmes d’incivilités et de violences. Sans même parler de devoir mettre leur vie en péril ! Les deux assassinats d’enseignants sur notre territoire n’ont fait qu’accentuer une peur toute légitime. Voilà pourquoi il faut que l’État protège ses enseignants. À quand la totalité des établissements dotés de portiques de sécurité, à défaut d’un agent de sécurité devant chaque établissement ?

Au-delà d’une protection physique, les enseignants doivent également bénéficier d’une protection morale. À quand l’exclusion définitive du système scolaire pour des élèves qui menacent ou agressent physiquement leur professeur ? À quand la responsabilisation des parents à qui les allocations familiales pourraient être supprimées en cas de violences perpétrées contre un enseignant ? Enfin, il faut en finir une bonne fois pour toutes avec le « pas de vague ». Les instances hiérarchiques de l’Éducation nationale doivent soutenir les professeurs et non les culpabiliser en les jugeant de facto comme inaptes à tenir leur classe !

Breizh-info.com : Quelle est votre vision de l’équilibre entre les méthodes d’enseignement traditionnelles et les exigences de l’ère numérique ?

Véronique Bouzou : Le numérique doit demeurer un outil au service d’une pédagogie mûrement réfléchie, non une fin en soi. Je ne m’oppose pas systématiquement au numérique dans la mesure où aujourd’hui, il est difficile de s’en passer. À commencer quand il s’agit de remplir le cahier de textes en fournissant aux élèves les pièces jointes nécessaires pour réviser, s’entraîner. C’est également un outil utile pour communiquer avec les parents qui peuvent suivre de manière plus transparente le suivi de leur enfant.

En cours, je l’utilise par le biais du tableau numérique où je peux projeter à la classe des pages de manuels en ligne, des œuvres artistiques, des exercices… Même les tablettes dont commencent progressivement à être dotés tous les collégiens peuvent avoir leur utilité quand je leur demande de rédiger un travail d’écriture au long cours qui donne lieu à la rédaction d’un recueil de nouvelles publié à la fin de l’année scolaire.

Il en est de même pour les autres disciplines que le français.

Mais cela ne m’empêche pas de m’insurger contre le tout numérique à l’école. Je me suis aperçue que les méthodes d’enseignement traditionnelles, peut-être plus rébarbatives de prime abord, demeuraient encore les plus efficaces. À commencer par l’apprentissage de la lecture et de l’écriture où je rejoins totalement Michel Desmurget, auteur du livre La Fabrique du crétin digital. Les dangers des écrans pour nos enfants (Éditions du Seuil, 2019). Après avoir misé sur le tout numérique à l’école, les autorités suédoises ont décidé de faire marche arrière après avoir constaté une baisse significative du niveau des élèves liée aux écrans ! Il serait bon que les dirigeants français en prennent de la graine…

Je sais par ailleurs que des études dans les domaines des neurosciences et de la psychologie cognitive ont permis de montrer que l’écriture manuscrite favorisait l’activité cérébrale propice aux apprentissages. Les élèves parviennent ainsi à se concentrer sur le temps long et ne passent pas leur temps à “zapper” sur des écrans.

En conclusion, je ne suis pas contre le numérique à l’école mais en matière d’apprentissage des fondamentaux, il faut restreindre son usage.

Breizh-info.com : Quelles sont, selon vous, les causes profondes des changements de comportement et de respect chez les élèves, et comment le système éducatif peut-il y répondre ?

Véronique Bouzou : On cite souvent le passage du philosophe grec de l’Antiquité, Platon qui dans La République écrit : « Lorsque les pères s’habituent à laisser faire les enfants, lorsque les fils ne tiennent plus compte de leur parole, lorsque les maîtres tremblent devant leurs élèves et préfèrent les flatter, lorsque finalement les jeunes méprisent les lois parce qu’ils ne reconnaissent plus au-dessus d’eux l’autorité de rien ni de personne, alors c’est là en toute beauté et toute jeunesse le début de la tyrannie ».

On pourrait donc penser que c’est le propre de la jeunesse de manquer de respect aux aînés. Cependant, sans vouloir passer pour une réac – que je suis malgré tout ! – qui estimerait que « c’était mieux avant », je dirais que les jeunes – et très jeunes – manquent aujourd’hui, pour beaucoup d’entre eux, d’empathie et le temps passé sur les écrans n’a rien arrangé.

À cela s’ajoute un manque de vocabulaire et de culture générale qui favorisent le passage à l’acte violent. Quand ils n’ont plus de mots pour s’exprimer, comprendre, argumenter, ils n’ont alors plus que la violence comme moyen d’expression. Enfin, une partie de la jeunesse issue d’une immigration extra-européenne voue à la France un véritable désamour – quand ce n’est pas une vive animosité. La langue, l’Histoire, la culture française les révulsent et ils se montrent réfractaires à l’enseignement qu’ils reçoivent dans les salles de classe.

Que faire alors ? Restaurer l’autorité du professeur qui passe déjà par l’autorité parentale. Les adultes doivent exercer leur rôle de parents en pourvoyant à l’éducation de leurs enfants sans faire preuve d’un laxisme éhonté. Aux professeurs ensuite d’instruire des élèves bien élevés. Il faut également en finir avec la logique pernicieuse de victimisation dans laquelle les politiques ont enfermé les jeunes issus de l’immigration et de repentance pour les Blancs et Occidentaux jugés responsables de tous les maux. Offrons à la jeunesse des héros à la hauteur de leurs rêves en redonnant par exemple toute sa place aux « grandes figures » du récit national.

Breizh-info.com : Comment espérez-vous que votre livre influencera les éducateurs, les décideurs et le grand public dans leur approche de ces problèmes ? Quelle touche d’espoir pour nos enfants, pour les parents ?

Véronique Bouzou : Pour que mon livre puisse influencer tout ce beau monde, encore faut-il qu’il soit lu ! En effet, afin d’éviter toute censure et rester maître à bord, j’ai décidé de publier ce dernier livre (ainsi que les deux précédents) à compte d’auteur. Les libraires et les médias étant frileux à donner de la visibilité à des livres autoédités, c’est grâce à Internet et aux internautes que je peux aujourd’hui faire entendre ma voix qui, je peux vous l’assurer, en dérange plus d’un ! Mon livre est disponible sur Amazon mais les lecteurs réticents à passer commande sur cette plateforme peuvent le commander directement sur mon blog (http://veronique-bouzou.blogspot.com).

En poussant une hypothèse à son paroxysme, en l’occurrence un monde où il n’y aurait plus de profs du tout, je vous laisse imaginer quels seraient les impacts sur les élèves et leurs parents, ne serait-ce qu’en terme d’organisation. Heureusement, nous n’en sommes pas là. Je me considère aujourd’hui comme une lanceuse d’alerte en permettant à mes lecteurs d’entrer de plain-pied dans les établissements scolaires et de constater ce qui s’y passe réellement. En guise de conclusion, je vous laisse méditer sur cette phrase de Sénèque : « C’est quand on n’a plus d’espoir qu’il ne faut désespérer de rien. » Vous avez deux heures avant que je ne ramasse les copies !

Propos recueillis par YV


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