. Pourquoi Jacques Delors a dit non à la présidentielle de 1995 !

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++ WEBTUBE : C’était il y a vingt-neuf ans, le 11 décembre 1994, sur TF1, lors du rendez-vous politique à l’époque incontournable, celui de Sept sur sept, animé par Anne Sinclair. Jacques Delors est alors au faîte des sondages, devançant même Édouard Balladur, « l’ami de trente ans » de Jacques Chirac. Le père de Martine Aubry est le candidat à la fois idéal et rêvé pour la gauche. Sa parole est attendue, l’oracle va être rendu.

Et là, il renonce. « Je vais atteindre 70 ans, je travaille sans relâche depuis cinquante ans et il est plus raisonnable, dans ces conditions, d’envisager un mode de vie plus équilibré entre la réflexion et l’action. » Badaboum et patatras ! Ses supporters savent que le chemin pavé de fleurs sera désormais semé d’embûches, entre Édouard Balladur, Lionel Jospin qui relève tôt le gant et Jacques Chirac, donné pour politiquement mort mais dont on sait qu’il est une véritable bête de concours électoral.

Delors sait que l’Europe compte plus que la France…

Alors que le défunt nous a quittés, à l’âge vénérable de 98 ans, c’est Olivier Faure, actuel Premier secrétaire du Parti socialiste, qui décrypte encore le mieux le comportement de son ancien champion : « Il voulait d’abord porter ses convictions avant d’être un homme de pouvoir. Ça l’a fait aussi renoncer à ce qu’il pensait être une épreuve inutile parce qu’il craignait de ne pas avoir de majorité. Il ne voulait pas être un Président fantoche. » Voilà une déclaration qui mérite qu’on s’y arrête, tant elle est révélatrice de la personnalité du disparu.

En effet, en dépit d’une « majorité » parlementaire qu’il aurait à coup sûr obtenue s’il avait été élu, Jacques Delors était de ces politiciens ne l’ayant jamais été, élu. Au même titre que son rival putatif d’alors, Édouard Balladur. Car emporter une élection présidentielle, ça se mérite avant de possiblement la gagner. Il faut mettre les mains dans le cambouis, aller à la rencontre des électeurs, les retourner pour mieux les convaincre, arpenter les marchés de province et flatter la crémière pour espérer lui décrocher, d’abord un sourire, puis, éventuellement, un bulletin.

Jacques Delors n’était pas taillé de ce bois. Ce qui ne l’empêchait pas d’être lucide quant à l’évolution des institutions de la Cinquième République, sachant mieux que personne que dans celles à venir, européennes et par lui en grande partie concoctées, le Président serait effectivement – majorité au Parlement ou non – un « fantoche ». Il savait déjà où se nichait le véritable pouvoir : dans ces instances européennes cooptées en totale consanguinité et se moquant comme d’une guigne de la volonté populaire.

Et le principal intéressé de confirmer : « Je n’ai pas de regrets. […] J’avais un souci d’indépendance trop grand et je me sentais différent de ceux qui m’entouraient. Ma façon de faire de la politique n’était pas la même. » On ne saurait mieux dire. En effet, la démocratie selon Jacques Delors est un système qui fonctionnerait bien mieux s’il n’y avait ces fichus électeurs dont il faut bien demander l’avis, de temps à autre. En bon français, voilà qui se nomme une oligarchie. Celles des « sachants » contre la masse de ceux qui n’y entravent que pouic : ces mêmes « votants ».

Il préfigurait l’actuelle classe politique…

En ce sens, Jacques Delors fut un modèle. Celui qui poussa François Mitterrand à rompre avec la France pour se jeter dans les bras de l’Europe. À en finir avec les luttes sociales de la gauche pour pousser cette dernière à se recycler dans les conquêtes sociétales. Tel est probablement le sens de son renoncement de 1995 : même sans se présenter à l’élection suprême, Jacques Delors avait déjà gagné. Il savait que le véritable pouvoir était ailleurs, à Bruxelles plus qu’à Paris.

Il peut aujourd’hui reposer en paix, tant sa descendance est assurée ; Emmanuel Macron, son dernier rejeton en date, au premier chef. Seulement voilà, dans cette Europe, celle d’ancestrales nations constituées et non point de technocrates tout frais émoulus des grandes écoles, que Jacques Delors appela si fort et si longtemps de ses vœux, les nations se réveillent. Et le font régulièrement savoir en s’exprimant dans les urnes.

C’est peut-être le menu détail que le grand homme n’avait pas prévu : en démocratie, il faut aussi savoir, à défaut de l’entendre, composer avec le peuple.

Nicolas Gauthier dans BV

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