Articles : Mar. 2021 – Fev. 2021 – Jan. 2021 – Dec. 2020
Déjà mis en avant au début de la pandémie pour son éventuelle action contre le virus, l’antiparasitaire revient sur le devant de la scène. Bien qu’il n’ait jamais été officiellement reconnu comme bénéfique par les autorités sanitaires, de nouveaux signaux encourageants incitent politiques et scientifiques à attirer l’attention de l’OMS. Décryptage.
Les messages de soutien se multiplient comme par génération spontanée. Depuis le début de la semaine, une foule d’internautes prônent le recours à l’ivermectine face au Covid.
Cet antiparasitaire est usuellement prescrit contre la gale. Deux éléments déclencheurs expliquent la virulence du débat dont il fait l’objet. D’une côté, la publication, le 10 mars, d’un article attestant l’efficacité du vermifuge contre le Covid-19. Parmi les quatre scientifiques japonais signataires du texte figure le découvreur de l’ivermectine en personne, Satoshi Ōmura, prix Nobel de médecine 2015. De l’autre côté, un rapport de l’Agence européenne des médicaments, cette fois publié le 22 mars, déconseille l’utilisation préventive ou curative de l’antiparasitaire.
«De plus en plus d’articles sortent ainsi que des méta-analyses –dont une française. Et il y a un consensus, ce qui n’était pas le cas avec la chloroquine. Il y a près de quatre-vingt-douze études et elles ont toutes le même résultat: une mortalité divisée par quatre voire par cinq et des symptômes qui disparaissent deux fois plus rapidement, en à peine plus de quarante-huit heures. Enfin, il n’y a aucun effet secondaire grave. Qu’est-ce que ça nous coûterait d’essayer?» s’interroge le docteur Gérard Maudrux.
Le chirurgien cache difficilement son incompréhension face aux réserves de l’Agence européenne. Ainsi, un an après les premiers résultats vantés par des chercheurs australiens et relayés avec enthousiasme par le laboratoire MedinCell en France, ou encore après les effets surprenants surprenants obtenus dans un Ehpad traité en amont de la pandémie, l’action de l’ivermectine contre le SARS-CoV-2 n’est toujours pas validée.
Regain d’intérêt et guerre de lobbying
En réalité, le débat autour du médicament revêt des enjeux précis, concède notre interlocuteur. L’engouement actuel risque de s’avérer insuffisant pour infléchir les autorités sanitaires.
Le hashtag #BeBraveWHO, qui a inondé la toile récemment, prend pourtant de l’ampleur. «C’est l’opinion publique qui fait changer l’avis des politiques», reconnaît l’ancien président de la caisse de retraite des médecins et de la caisse maladie des professions libérales. Avant de se montrer plutôt sceptique quant à la décision de l’ANSM (l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) qui doit être rendue dans les prochains jours.
«Les décisions sont politiques et financières, elles ne sont pas médicales. C’est un médicament totalement inoffensif, il y a moins de quinze morts en trente ans sur 4 milliards de prescriptions. C’est 100 voir 1.000 fois plus avec le doliprane, tout le monde le sait. Je défie d’ailleurs Olivier Véran d’ingurgiter dix boîtes de doliprane et moi dix d’ivermictine. Il sait très bien qui risquerait d’en mourir.»
En France, les profils des partisans du vermifuge commercialisé sous le nom de Stromectol présentent au moins un point commun: une certaine méfiance à l’égard de la politique vaccinale et une hostilité envers les manœuvres de Big Pharma. Présentés par L’Obs comme «controversés» et taxés par d’autres de «complotistes», ces défenseurs français de l’ivermectine vont de Marine Le Pen à Nicolas Dupont-Aignan en passant par Jean-Frédéric Poisson ou encore Florian Philippot. Ils regroupent également des figures devenues célèbres du domaine de la santé, comme le biologiste Jean-Pierre Changeux, l’avocat Fabrice Di Vizio ou encore la «vaccino-sceptique» Alexandra Henrion-Caude.
Si certains pro-ivermectine sont donc connus pour être des figures de l’opposition à la stratégie sanitaire actuelle, les anti-ivermectine ne s’intéresseraient que de manière partiale aux études, selon le docteur Maudrux.
Le singe vert africain n’est pas d’accord
Farouchement opposée à ce traitement, l’épidémiologiste Dominique Costagliola, directrice de recherches à l’Inserm, argue régulièrement de l’inefficacité du traitement sur des cellules Vero (cellules cultivées en labo à partir de cellules prélevées chez le singe vert africain, sur lesquelles sont menées nombre d’expériences en virologie).
«Elle est restée un an en arrière avec ses cellules Vero. Ce qui est intéressant, c’est ce qui se fait chez l’homme. Parfois, vous avez de très bons résultats in vitro et pas chez l’homme. Parfois, c’est l’inverse, car des tas de molécules interviennent. Dominique Costagliola se focalise là-dessus parce que cela lui évite de parler des études qui ont été menées sur l’homme et qui fonctionnent», tempête le docteur Maudrux.
Animateur d’un blog sur l’actualité liée à la pandémie, notre intervenant déplore toutefois des enjeux trop importants pour que ce traitement du Covid soit officiellement reconnu. Bien qu’il soit d’ores et déjà utilisé aux quatre coins du monde.
Hydroxychloroquine bis?
En définitive, le praticien pense que l’ivermectine risque fort de connaître le même sort que l’hydroxychloroquine. Comme l’antipaludique cher au professeur Raoult, l’antiparasitaire convainc de nombreux médecins et patients, études à l’appui. Il se voit donc toujours recommandé par certains scientifiques et reste prescrit malgré l’absence d’aval de l’OMS.
«Une seule étude se suffit à elle-même, celle qu’a menée le docteur Carvallo en Argentine sur 1.200 soignants au contact du Covid, dans quatre hôpitaux différents ne communiquant pas entre eux. 800 ont reçu de l’ivermectine, 400 non. Sur les 800 il y a eu zéro cas et sur les 400, 237 cas, soit plus de 50%. […] Les trois ou quatre études qui invalident son efficacité ont, quant à elles, été menées sur des sujets de 28 ans qui, pour la plupart, guérissent tout seuls. Donc, forcément, les résultats son biaisés», poursuit le docteur Maudrux.
Ces arguments finiront-ils par être entendus? Aux États-Unis, le National Institutes of Health (NIH) a récemment modifié sa recommandation, passant de négative à neutre. Un premier pas timide. Pas de quoi décourager notre interlocuteur: l’essayer ne coûterait rien, si ce n’est «de l’argent aux laboratoires qui produisent les vaccins»… Il est convaincu que des médicaments à 5 euros ne seront jamais assez rentables pour être reconnus utiles. «L’ivermectine serait vendue à 1.000 euros, des tas de labos présenteraient des dossier à l’ANSM… En attendant, des gens meurent», constate-t-il avec amertume.