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Le Brexit derrière lui, Boris Johnson s’attelle à une nouvelle réforme, celle de l’immigration, avec un visa à points privilégiant les travailleurs très qualifiés. Une mesure qui ne plaît ni à l’opposition travailliste ni au patronat. Décryptage de ce projet de loi avec Jean-Paul Gourévitch, auteur d’ouvrages sur l’immigration.
Le visa de travail coûtera très cher au Royaume-Uni à partir de l’année prochaine. Si le projet de loi préconisé par Priti Patel, ministre de l’Intérieur, est adopté, il faudra le 1er janvier 2021 pour les nouveaux arrivants, parler anglais et présenter une proposition d’emploi avec un salaire minimum de 30.820 euros par an. 70 points seront ainsi nécessaires pour obtenir le visa. Affirmant se conformer au «message clair» envoyé par les Britanniques lors du référendum de 2016 décidant la sortie de l’Union européenne, la femme politique a envoyé un signal sans ambiguïté:
«Notre économie ne doit plus dépendre d’une main-d’œuvre bon marché en provenance d’Europe, mais se concentrer plutôt sur l’investissement dans la technologie et l’automatisation.»
Si ces mesures ne concernent pas les 3,2 millions de ressortissants de l’UE qui ont demandé à résider avant la fin de la période de transition, la réforme suscite des craintes de pénurie de travailleurs peu qualifiés dans de nombreux secteurs économiques tels que l’alimentation, la santé, la construction ou encore l’hôtellerie. Sputnik a interrogé Jean-Paul Gourévitch, consultant international sur l’Afrique et les migrations, auteur du livre Le Grand remplacement, réalité ou intox? (Ed. Pierre-Guillaume de Roux).
Sputnik France: Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste le projet de loi sur l’immigration que compte adopter le Parlement britannique?
Jean-Paul Gourévitch: «Ce projet de loi est un projet de visas à point que Boris Johnson porte depuis six mois déjà. Il l’avait déjà annoncé en 2019. Ce projet est inspiré du système australien, le general skilled migration visa. Il est fondé sur deux choses: la première, une connaissance de l’anglais et la seconde, 70 points qui vont être obtenus en fonction des compétences des personnes par rapport aux professions dans lesquelles ils peuvent s’intégrer. Voilà comment on peut résumer ce projet de loi, mais comme Boris Johnson le dit lui-même, ce n’est qu’une première étape d’une refonte globale de tout son système d’immigration. Car cela ne concerne ni le regroupement familial, ni les migrants en situation irrégulière, ni les demandeurs d’asile, ni les mineurs isolés, pour lesquels il est en train de prendre d’autres dispositions.»
Sputnik France: Quel est le système actuel d’immigration au Royaume-Uni?
Jean-Paul Gourévitch: «Comme vous le savez, les Britanniques n’ont pas signé la “Directive retour” de l’Union européenne. Ils ne se sentent donc pas engagés. Prenons l’année 2018, il y a 627.000 arrivées pour 245.000 départs, c’est-à-dire que vous avez entre 350.000 et 400.000 personnes qui s’installent au Royaume-Uni.
Pour Boris Johnson, c’est beaucoup trop, et surtout, il privilégie les carrières à forte compétence, c’est-à-dire toutes les carrières autour de la technologie et l’automatisation. Il va mettre en place ce système à points, qui va favoriser un certain nombre de cadres et défavoriser au contraire des personnes qui ont une faible connaissance de l’anglais et dont la compétence est focalisée sur des métiers considérés comme moins performants, beaucoup moins honorifiques. Au Royaume-Uni, la plupart des serveurs et des femmes de ménage sont des immigrés, dont une partie vient d’ailleurs de l’Union européenne. J’insiste, 75% des serveurs viennent de l’Union européenne.»
Sputnik France: Quels secteurs économiques pourraient pâtir d’une éventuelle pénurie de main d’œuvre? Et lesquels bénéficieront du nouveau système?
Jean-Paul Gourévitch: «Tous les secteurs dont les métiers sont à faible qualification pourraient ainsi en pâtir, par exemple le bâtiment, l’hôtellerie, l’aide à la personne, qui ne nécessitent pas automatiquement une bonne connaissance de l’anglais, et surtout des compétences en matière de diplômes qui sont reconnues internationalement.
Ceux qui pourraient en bénéficier sont les secteurs à valeur ajoutée, ce qui est de l’ordre de l’ingénierie, du numérique, de l’automatisation. Ce sont des domaines dans lesquels le Royaume-Uni vise à occuper des positions dominantes et c’est aussi pour cela qu’il restreint ou qu’il modifie la règle du jeu en ce qui concerne l’immigration de travail.»
Sputnik France: Selon vous, quels sont les objectifs de cette réforme? Y a-t-il un problème d’immigration au Royaume-Uni ou il s’agit d’une solution pour attirer les «cerveaux»?
Jean-Paul Gourévitch: «Je l’ai dit précédemment, il y a un problème d’immigration avec 627.000 arrivées et 245.000 départs. C’est donc une augmentation de la population immigrée par le solde migratoire. Comme il y a aussi une augmentation de la population d’origine étrangère par le solde naturel, le Royaume-Uni, comme la France et d’autres pays, est confronté à une augmentation de l’immigration qui pose un certain nombre de problèmes.
Le second élément, c’est que le Royaume-Uni a fait un choix technologique en ce qui concerne l’immigration de travail. Autant Boris Johnson a dit qu’il allait se montrer généreux avec les migrants irréguliers qui sont présents depuis longtemps et qui ont un travail, autant il vise à faire une révolution drastique pour les mineurs isolés. Le Royaume-Uni n’en accueille que 3.000 par an, la France en accueille 40.000. D’une part, ces mineurs isolés n’ont pas le droit de faire venir leur famille alors qu’en France, ils en ont le droit. D’autre part, pour les demandeurs d’asile, le Royaume-Uni reçoit beaucoup moins de demandeurs d’asile qu’en France. Si l’on prend l’exemple de 2018, ce sont 31.000 demandeurs d’asile, la France a dépassé les 120.000.»
Sputnik France: Un plan d’immigration comme celui-ci peut-il être efficace?
Jean-Paul Gourévitch: «Tout dépend de ce que l’on veut faire de l’immigration de travail. Soit on considère que l’immigration de travail doit être au service d’objectifs de qualifications de haut niveau –Boris Johnson a choisi cette voie-là–, soit on considère que l’immigration de travail doit combler les niches laissées vides par les autochtones. Là, Boris Johnson risque de se trouver en difficulté dans les métiers à faible qualification, c’est pourquoi d’ailleurs, une partie du patronat britannique ne le suit pas véritablement.»
Sputnik France: Quelles conséquences peuvent présenter ce plan d’immigration sur les salaires et sur l’emploi?
Jean-Paul Gourévitch: «En ce qui concerne le taux d’emploi, le Royaume-Uni n’a que 3,8% de chômage, donc il n’y a pas trop de risques pour les emplois. Là où se situe un risque beaucoup plus grand, c’est très probablement la rémunération. Le fait de faire venir des immigrés de faible qualification permettait de peser sur les rémunérations des autochtones. À partir du moment où vous faites venir des gens très qualifiés, ceux-ci vont réclamer des prestations et des rémunérations à leur niveau et donc il n’y aura pas de possibilité pour le patronat de revoir à la baisse les rémunérations.»