Djihadiste ou nationaliste : ce que le meurtre d’Yvan Colonna dit de la République

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Le décès d’Yvan Colonna, sauvagement agressé en prison par un djihadiste hyper-violent (qui était libérable l’an prochain !), pose plusieurs questions : celle du traitement des prisonniers politiques corses (implacable), à l’opposé du traitement complaisant réservé aux djihadistes. Comment comprendre ce deux poids deux mesures sinon comme un acharnement contre le peuple corse et une faiblesse devant l’islamisme radical ?

Présenté par les médias comme l’assassin du préfet Claude Érignac1, abattu en février 1998 à Ajaccio, Yvan Colonna est mort le 21 mars 2022 à la suite d’une agression quelques jours auparavant par un codétenu. Malgré ses condamnations successives, Yvan Colonna a toujours clamé son innocence ; mais notre propos n’est pas sa responsabilité ou non dans le meurtre qu’on lui reproche. La question est de savoir ce que nous apprend son assassinat. Son agresseur, purgeant une peine de neuf ans de prison pour « association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte de terrorisme », avait été arrêté en Afghanistan par les Américains qui, après l’avoir détenu sur une de leurs bases, l’avaient remis aux Français. La République, bonne fille, a – comme de bien entendu – rapatrié cet individu pour qu’il mène à terme un parcours pénitentiaire exemplaire, agrémenté d’incidents violents, de tentatives d’évasion, d’incendies volontaires, et autres amabilités du même genre. Yvan Colonna, quant à lui, faisait montre d’un comportement carcéral des plus paisibles ; même ceux qui claironnent sa culpabilité le confirment !

Comment un djihadiste dangereux a-t-il pu croiser la route d’un prisonnier sans histoire, et le tuer ? Yvan Colonna n’était-il pas censé être particulièrement surveillé ; donc sous contrôle constant ? Nul ne doute que l’administration pénitentiaire élaborera une mirobolante fable pour expliquer pourquoi et comment personne ne peut lui imputer un quelconque manquement ; exemplarité républicaine oblige, n’est-ce pas ! Beaucoup de Corses, voire de non-Corses, pensent que l’État est responsable de la mort d’Yvan Colonna ; au minimum par négligence. D’aucuns – les plus véhéments – avancent même la thèse d’une exécution politique commanditée en haut-lieu.

LE nationalisme corse sous les verrous

Il n’est point besoin de s’aventurer à de telles spéculations pour constater une flagrante distorsion de traitement : les prisonniers corses bénéficient peu de la mansuétude témoignée envers les adeptes tricolores de la guerre dite sainte. Les uns (les djihadistes) sont ramenés à grands frais sur un sol gaulois qu’ils exècrent souvent ; les autres (les Corses) restant assignés à croupir loin de chez eux. Yvan Colonna – comme du reste Pierre Alessandri et Alain Ferrandi, les deux survivants dudit « commando Érignac » – aurait pu bénéficier d’un rapprochement et accomplir sa peine en Corse afin que sa famille – dont son fils – puisse le visiter plus aisément. Cette possibilité légale, le pouvoir politique l’a toujours refusée à Yvan Colonna ; et ce, en pleine connaissance de cause, en cédant ainsi – dit-on – aux exigences de ceux des préfets qui voyaient en ce rapprochement permis par la loi une démarche éhontée.

L’épilogue est connu : rapproché des siens, Yvan Colonna serait encore en vie. Dans la foulée de son décès et pour tenter d’apaiser l’indignation se manifestant au sein du peuple corse, Pierre Alessandri et Alain Ferrandi se sont vu octroyer ce rapprochement tant attendu et demandé à l’unanimité depuis si longtemps par tous les élus de l’Assemblée de Corse.

Les Corses – pas seulement les nationalistes – comprennent très mal le sort réservé aux leurs, surtout au regard de la pusillanimité, en actions comme en paroles, déployée envers d’autres. Les prisonniers et ex-prisonniers corses se considèrent comme des politiques et n’acceptent pas d’être répertoriés de manière pour eux infamantes, notamment sur le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes (Fijait).

Arrêtons-nous sur un cas parmi d’autres, celui de Thierry C. auquel il est reproché de ne pas avoir fourni son adresse aux services de la justice afin de ne pas être enregistré dans ce fameux Fijait. Pour les proches de cet ex-clandestin, « les Corses ne peuvent accepter que ceux qui ont eu pour seul tort de défendre leur peuple et ses droits soient assimilés, par pure hypocrisie, au terrorisme ».Et la presse corse, relayant l’information, d’ajouter : « Le débat n’est pas nouveau. La justice, pour l’heure, continue de considérer qu’il n’y a pas de hiérarchie dans le terrorisme et que les mêmes règles s’appliquent aux militants (ou anciens militants) du FLNC et à ceux de Daesh.2 » Les admirateurs de Daesh auxquels les Corses refusent d’être assimilés sont légion dans les gracieuses prisons hexagonales ; plusieurs centaines d’entre eux sont en cours de relaxe.

Ces gens-là seraient-ils en réalité moins inquiétants qu’une poignée de Corses clamant l’amour de leur terre et de leur peuple ? La réponse est affirmative : oui ! Certes, ces brutes prosélytes, gavés de dialectique approximative et lâchés dans les rues, vont agresser, racketter, intimider, harceler, tabasser, violer possiblement, ratonner, tuer encore, massacrer de-ci de-là. Tout cela en pleine bonne conscience et pour leur gloriole à trois balles. Les hommes en armes du FLNC n’ont jamais commis de tels actes. La motivation et le projet des patriotes corses se situent aux antipodes. Et c’est bien pour cela que le pouvoir actuel les réprime plus que les autres pékins. Cette habituelle différence de traitement n’échappe à aucun observateur avisé comme en atteste ce constat formulé en avril 2020 par un combattant corse et non des moindres :« Des dizaines de Français radicalisés donc prêts à faire la guerre à la France sortent de prison… Et les nôtres restent… Ava basta incù a Francia.3 »

Le mariage des élites et des djihadistes

Oui, les islamistes élargis vont faire couler le sang ; mais lequel ? En fait et en pratique, celui des pauvres bougres vivant dans leur environnement, celui des « sans-dents » issus des couches les plus sinistrées de la société, celui des laissés pour compte des quartiers en déshérence, celui aussi de quelques malchanceux pouvant croiser leur route folle ; mais jamais, non jamais, celui des nantis ! C’est la raison pour laquelle les élites possédantes ne craignent pas les islamistes ; elles savent qu’elles ne seront pas atteintes. Il existe, au-delà, une parenté entre ces factions islamistes et les coteries libérales libertaires ; les premières étant les idiotes utiles des secondes ; les deux caressant des visées hégémoniques. Les unes œuvrent à une mondialisation accélérée quand les autres prétendent bâtir une alternative sanctifiée. Les deux blocs agissent en miroir ; chacun servant à l’autre de prétexte et de faire-valoir. Comme si n’existait, pour l’humanité, que ces deux visions-là d’elle-même. Dans les pays occidentaux repus et progressistes, cette supercherie marche à merveille et, pour l’heure, ce sont bien les tenants de l’imposture libérale libertaire qui tiennent le haut du pavé ; d’où leur rechignement – sinistres roitelets qu’ils sont – à neutraliser les bouffons enragés, si sanglants pour les faibles mais si inoffensifs pour eux ! Cette clémence n’est ni fortuite ni paradoxale, elle découle du fait que l’islamisme – en tant que cadre politique – ne remet en rien en cause la sacro-sainte loi du marché si chère aux progressistes mondialistes. L’islamisme ne constitue absolument pas, en l’état, un danger pour les intérêts de la classe dominante, ni une menace physique pour ses membres.

Les nationalistes corses – dès la naissance de leur mouvement – rejettent eux le pouvoir absolu de l’argent-roi, notamment quand ses tenants tentent d’accaparer leur terre natale. Ils contrecarrent en cela l’idéologie de cette néo-bourgeoisie postnationale mondialisée actuellement aux affaires en France, de cette hideuse coterie qui « n’a ni honneur ni patrie mais que des intérêts » ; pour reprendre le verdict sans appel du général de Gaule. Les nationalistes corses défendent une terre dont nombre d’entre eux n’aspirent même pas à ce qu’elle se sépare de la France ; certains ambitionnant, au contraire, que leur inflexible résistance serve d’inspiration partout où les maux ravageant la Corse sont largement présents. Cette universalité de la lutte corse se retrouve, clairement, dans maints écrits de combat, dont les miens4. Cette exemplarité du modèle d’insoumission corse constitue un crime de lèse-bourgeoisie, inexpiable aux yeux du pouvoir calamiteux aux manettes à Paris. Contestée, la bourgeoisie poudrée devient aussitôt sanguinaire et abjecte ; les Gilets Jaunes l’ont appris à force d’éborgnements ; les Corses l’expérimentent depuis plus de cinquante ans. Il est donc temps d’en finir.

1. Voir à ce propos : Yvan Colonna, Wikipédia (wikipedia.org).
2. Fijait : le procès Casolasco renvoyé en mars 2022 (Corse-Matin).
3. Voir la page Facebook de Sambucucciu d’Alandu en date du 9 avril 2020 : « Ava basta incù a Francia : Maintenant ça suffit avec la France ».
4. Ange-Mathieu Mezzadri. Manuel d’autodéfense contre les libéraux libertaires. Edition Maïa, Paris, 2018.

Lu dans Revue de civilisation

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