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À chacun son chemin de Damas. L’histoire retiendra (peut-être) que France Inter a été touché par la grâce au lendemain de l’Ascension.
La preuve ? La radio a évoqué le pèlerinage de Chartres. Celui qui s’ébranlera samedi matin de Saint-Sulpice – incendie de Notre-Dame oblige – pour rejoindre, lundi de Pentecôte, la cathédrale de Chartres. En parler est déjà un exploit, car depuis quarante ans, cette petite ville en mouvement – en nombre, c’est Bayeux ou Briançon qui se déplacerait à pied – intéresse fort peu les médias. Mais le plus incroyable, ahurissant, prodigieux, est que France Inter en a parlé de façon neutre, s’en tenant aux faits. Sans leurs tresser des couronnes de lauriers, mais sans se moquer, ricaner, cracher du fiel, faire de finaudes allusions aux prêtres pédophiles ni à la France de Vichy, tendre le micro à un obscur quidam assurant y avoir été traîné de force, enfant, il y a vingt ans par ses parents intégristes… Non. Rien de tout cela. En interrogeant « vraiment » une jeune fille ordinaire de ce pèlerinage, pas une folle dingo ni une illuminée. Sans tronquer ses propos, les interpréter, ni chercher à la piéger. Quel exploit. On nous les a changés ! Si ce n’est pas un miracle…
📻 Affluence RECORD pour le pèlerinage de #Chartres : même @franceinter s'y intéresse ! ⤵️ #NDC2023 pic.twitter.com/uxxC8NSnOb
— Notre-Dame de Chrétienté (@ndchretiente) May 23, 2023
Il est vrai que ces jeunes – France Inter rappelle que 50 % d’entre eux ont moins de vingt ans – constituent un phénomène de société : on nous bassine depuis des mois avec les black-blocs et le soulèvement de la terre. Ils sont les anti black blocs et le soulèvement vers le Ciel. Les uns sont nihilistes et crient « Ni Dieu ni Maître », les autres sont gonflés d’espérance et se mettent à genoux. Les uns rêvent du grand soir, les autres du petit matin, quand ayant rangé leur tente, ils reprennent la route là où ils l’ont laissée la veille, bannières au vent. Les uns réclament le droit à la paresse, les autres recherchent la rudesse, celle de la route. Les uns pensent à leur avenir matériel, leur retraite, les autres à leur destin spirituel… après la retraite. Les uns vocifèrent des slogans, les autres chantent des cantiques. Les uns détruisent sur leur passage. Les autres ramassent jusqu’au dernier papier gras, seuls, les lieux de bivouacs, martelés comme après le passage d’un troupeau, se souviennent des milliers de godillots. Les uns marchent pour le climat, les autres marchent malgré la météo : l’an passé, pluie diluvienne ! Apparemment elle ne les a pas dégoûtés.
Les uns ne veulent pas d’enfants, les autres se rencontrent (parfois) au pèlerinage et reviennent des années plus tard, avec leur nombreuse progéniture. Les uns veulent faire du passé table rase, les autres veulent tout conserver. Trop, peut-être, de l’avis de certains. Car s’il est de nombreux pèlerinage menant à Chartres chaque année, celui de la Pentecôte a une spécificité : son rite. Chacun l’appelle comme il veut : tridentin, de Saint-Pie V, traditionnel, en latin, ou, comme Benoît XVI, « extraordinaire »…
Au-delà de la jeunesse, France Inter souligne la progression impressionnante des effectifs. 16.000 pèlerins. Anticipant une croissance de 10 %, afin de respecter les autorisations administratives et devant l’impossibilité de gérer une telle colonne sur la route et dans les bivouacs, l’organisation a dû fermer les inscriptions, il y a une semaine. Et c’est encore sans compter, les pèlerins « d’en face », ceux de la Fraternité Saint-Pie X, eux aussi attachés au rite tridentin, qui, le même week-end, font le chemin inverse. Ils ont à ce jour près de 5.300 inscrits (6.000 attendus lundi à l’arrivée à Paris).
Si même France Inter parvient à surmonter ses préventions pour s’intéresser à cette foule fervente, les évêques français devraient pouvoir, aussi, y arriver ?
Dans un article récent publié dans La Croix, l’historien des religions Guillaume Cuchet tire la sonnette d’alarme : « Le catholicisme risque de ne plus rester longtemps la première religion ». Il s’appuie sur l’Enquête Trajectoire et origines de l’INSEE paru en avril, qui constate notamment que si l’islam, de toutes les religions, est celle qui chez nous a le meilleur taux de transmission, le catholicisme est à l’inverse, sur ce plan, la moins bien lotie. Guillaume Cuchet ne s’explique pas que ce « déclassement annoncé » suscite si peu de commentaires dans l’Église, « comme si les évêques sonnés par la crise des abus sexuels, ne savaient plus qu’assister, muets et impuissants à l’effondrement ». Peuvent-ils continuer de s’offrir le luxe de repousser ces ouailles ? Et de ne pas vouloir réfléchir aux raisons de cet enthousiasme ?
Mais l’autre élément marquant ce cette édition, qui lui n’a pas été abordé par France Inter, dépasse nos frontières : le pèlerinage de Chartres essaime. Après l’Argentine et l’Australie, c’est d’Espagne et des États-Unis que viendront des équipes logistiques organisant des pèlerinages jumeaux, initiés en 2021. Elles comptent ainsi apprendre in situ à gérer des groupes de grande ampleur.
Il y a quelques jours, encore, le pape François dénonçait en Hongrie le danger du « restaurationnisme », de « l’arriérisme » et de la « maladie nostalgique ». Mais comment des jeunes nés quarante ans après Vatican II pourraient-ils se sentir visés par ces mots ? Peut-être vivrons-nous assez vieux, qui sait, pour voir un jour le motu proprio Digitum in oculo : nous nous sommes fourrés le doigt dans le l’œil ! Dans les fidèles de la messe tridentine, nous avons cru voir un EHPAD, c’était en fait une pouponnière. Et après tout, si ces bambins sont loin d’être parfaits, ils ne font pas, in fine, de si mauvais catholiques. Par les temps qui courent, on ne peut pas se permettre de faire la fine bouche.
Gabrielle Cluzel, Boulevard Voltaire
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