Violences dans l’Éducation nationale: quand la mort de Samuel Paty délie les langues

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Articles  : Nov. 2020Oct. 2020Sept 2020Août 2020

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Agressions physiques et verbales, refus des minutes de silence, apologie du terrorisme, dénonciations calomnieuses: à travers la France, les cas se multiplient. Longtemps minimisés par leur hiérarchie, ils semblent aujourd’hui en pleine expansion. Ou bien est-ce la parole qui se libère enfin?

Un mois après la décapitation de Samuel Paty, les établissements scolaires ont signalé pléthore de réactions hostiles à son endroit. Pire encore, des manifestations de soutien au terroriste Abdoullakh Anzorov et des menaces de décapitation ont été dénoncées à plusieurs reprises, émanant parfois d’élèves de classe primaire.

Une mise en lumière sordide de la brutalité quotidienne vécue par le corps enseignant, dont la détresse est le plus souvent tue, voire étouffée, raconte Barbara Lefebvre au micro de Sputnik. Pour cette enseignante et philosophe, la lâcheté est «systémique» au sein de l’éducation nationale.

Une «lâcheté systémique»

Et le phénomène n’est pas neuf: elle avait déjà tiré la sonnette d’alarme en 2002 en contribuant l’ouvrage collectif, Les Territoires perdus de la République –antisémitisme, racisme et sexisme en milieu scolaire (Éd. Mille et une nuits), qui fait toujours autorité en a matière:

«L’Éducation nationale, bien plus que l’Armée, c’est vraiment la Grande muette. On nous oblige à taire nos problèmes en nous expliquant que l’Éducation nationale est déjà tellement dépréciée qu’il faut faire corps. Pendant des années, les profs se sont faits complices par leur silence. Ceux qui ont parlé sous leur vrai nom, pas sous pseudonyme, se comptent sur les doigts d’une main.»

Une chape de plomb qui se vérifie alors que Le Monde a récemment publié les échanges de mails entre Samuel Paty, ses collègues et sa hiérarchie. On y découvre une désolidarisation assumée de la part de certains professeurs, lesquels prennent soin de préciser qu’ils ne le soutiennent pas, qu’ils refusent de «se rendre complice», ou encore qu’«il [Samuel Paty, ndlr] a donné des arguments à des islamistes». Peur des représailles, pressions de syndicats aux positions ambivalentes, selon Barbara Lefebvre: les causes du silence sont multiples. Et le privé n’échappe pas non plus à cette politique de l’étouffement, prévient-elle, c’est même souvent pire. «Lorsqu’un enseignant ou un élève se fait agresser ou harceler, en général ce sont eux qui sont obligés de quitter l’établissement, rarement l’inverse.»

«C’est la loi de l’omerta, et rien n’y changera»

Selon l’enseignante, aujourd’hui chroniqueuse pour RMC et LCI, il n’y a absolument pas de recrudescence des menaces et actes de violence, seulement une libération de la parole: «Aujourd’hui, on a enfin des enseignants qui ont le courage de dire ce qui se passe dans les classes en termes de violence et d’apologie du terrorisme.» Un feu de paille? «Puis c’est à nouveau la loi de l’omerta et rien n’y changera, pas même la mort de Samuel Paty», déplore Barbara Lefebvre.

Une situation qui en rappelle une autre. En 2018, après le braquage en plein cours d’une enseignante avec une arme factice, le hashtag #pasdevague était lancée sur Twitter. Massivement repris par des professeurs à bout, il accompagnait leur dénonciation du manque de soutien de leur hiérarchie face aux agressions subies, d’une violence inouïe, et le silence déraisonnable auquel ils se heurtaient.

Deux ans plus tard, la détresse n’a visiblement pas été entendue et un sentiment de déjà-vu s’observe depuis un mois avec un nouveau regain de visibilité des violences, souvent fruit du mimétisme. Mimétisme familial d’abord, lorsque des élèves de CM2 justifient la mort de Samuel Paty, répétant ce qu’ils ont sans doute entendu à la maison. Mimétisme social ensuite, lorsque des lycéens s’identifient au tueur et menacent leurs enseignants de subir le même sort.

Des enseignants terrorisés et des élèves qui jouent à leur faire peur

Récemment, l’Éducation nationale a enregistré pas moins de 400 signalements d’élèves refusant d’honorer la minute de silence à Samuel Paty. Parmi eux, 20% sont le fait d’élèves d’école primaire. Cette semaine, quatre collégiens âgés de 13 à 14 ans ont été arrêtés après avoir tagué le mur de leur collège au nom de l’enseignement assassiné, suivi de la mention «vous êtes tous morts». Un lycéen de 17 ans a aussi été placé en garde à vue pour avoir menacé sa professeure de décapitation. Des paroles amplifiées par l’actualité brûlante, mais qui sont à ranger dans le lot des provocations récurrentes que subit le corps professoral, estime Barbara Lefebvre:

«Il y a une grande part de provocation provenant d’élèves qui savent qu’ils sont protégés et tout-puissants. Lorsqu’un élève dit, devant toute la classe, à son enseignante qu’il va lui “faire une Samuel Paty”, en général, c’est qu’il ne le fera pas; avant cela, il aurait dit “faire une Merah” ou une “Kouachi”. On est dans le domaine de la provocation menaçante.»

Une accumulation de petits drames. Dans l’attente d’une nouvelle tragédie?

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