Samedi 1er décembre 2018 : des milliers d’individus ont pris d’assaut les artères de Paris. Des tags sur l’Arc de Triomphe, des violences contre la police, des jets de gaz lacrymogène et de grenades assourdissantes, beaucoup de voitures brûlées, des incendies criminels ici et là ainsi que des pillages et des saccages dans plusieurs lieux de Paris ont jalonné une vaste opération d’émeutes urbaines. En cherchant la criminalisation du mouvement social, l’État a manifestement joué avec le feu et s’est brûlé les doigts. Entre l’incompétence et le cynisme, il n’y a qu’un pas. Car une offre publique d’achat s’est abattue sur le gilet jaune.
Un mouvement contestataire 2.0, par essence désorganisé, ne pouvait que se faire griller la politesse par des factieux en tout genre. Dans la société du spectacle où rien ne peut échapper à la marchandisation, le protestataire devait bien se doter d’une estampe : le gilet que tout conducteur doit porter en cas de descente de son véhicule au bord de la route. Darwinisme social oblige, la mondialisation laisse délibérément beaucoup de personnes sur le bord de la route.
La hausse des prix à la consommation, la hausse des taxes relatives aux carburants, la hausse du coût du gaz, la multiplication des impôts, la baisse des prestations sociales, le gel des salaires et l’interdiction de rouler à plus de 80 km/h sur les routes nationales et départementales asphyxient nos consommateurs. Depuis plus de deux semaines, les oppositions sont exponentiellement frontales : entre le peuple et les élites, entre les ploucs et les chics, entre les précaires et les bourgeois, entre ceux qui se déplacent en voiture et ceux qui migrent en avion, entre les manifestants et les casseurs, et, enfin, entre gilets jaunes et gilets jaunes. Coincée entre une profonde crise de la représentation et une crise sociale d’une rare intensité depuis Mai 68, la France est en voie d’implosion.
Depuis la ratification du traité de Maastricht (1992), le pays s’est mis dans les mains des traders et autres spéculateurs. De plus, il est occupé par l’Allemagne sur le plan monétaire (l’euro n’est qu’un euro-mark). Le Français doit soit travailler pour 500 euros par mois et payer cher des mutuelles santé, soit pointer durablement à Pôle emploi. La Commission européenne elle-même dénonce le haut niveau d’imposition du pays (selon Eurostat). Le gouvernement Philippe n’a plus aucune marge de manœuvre puisque le niveau de la dette publique a atteint 100 % du produit intérieur brut. Les banques centrales et les agences de notation obligent les États endettés à réaliser des coupes budgétaires drastiques. La France, privée de souveraineté, risque de connaître une banqueroute financière identique à celle qu’ont connue l’Argentine et la Grèce.
Le même jour, outre les manifestations tenues en province (qui ont aussi dégénéré, comme à Marseille ou à Nantes), un autre rassemblement avait lieu à Paris, dont les principaux leaders étaient, entre autres, Houria Bouteldja (égérie du Parti des indigènes de la République) et Rokhaya Diallo (journaliste ouvertement multiculturaliste). Deux France pour deux combats : l’un pour subsister, l’autre pour s’imposer. Des identités contre d’autres identités. Mais, aussi, les personnes contre les biens. À l’aube des grands affrontements, l’État macronien ne peut plus se contenter de mettre le couvercle sur la marmite : la défrancisation n’est plus un concept mais une réalité.