Le 16 janvier, devant la prison de Vendin-le-Vieil (Pas-de-Calais). Cinq jours après l’attaque, la colère des gardiens ne faiblit pas
FRANCOIS LO PRESTI / AFP
Après l’agression de trois d’entre eux par un détenu de Vendin-le-Vieil, les surveillants de prison se révoltent.
« Avant, chaque matin, j’avais peur de trouver un gars pendu dans sa cellule. Vous savez ce que je redoute aujourd’hui ? Qu’on m’égorge, qu’on me décapite, qu’on me plante une lame dans le dos. Au nom de l’islam et de Daech. Tous les jours, en allant travailler, j’ai cette peur qui me bouffe le ventre. » Bernard n’est pas le seul, jure-t-il, à craindre pour sa vie. « A l’intérieur [le mot pudique pour dire prison], l’état de guerre… c’est puissance dix. » Alors ils sont de plus en plus nombreux à démissionner, parfois après dix ou douze ans d’ancienneté. Malgré les affiches qui fleurissent dans les couloirs du métro – « Fier de servir la justice » au-dessus du portrait d’un surveillant au regard aussi bleu que son uniforme –, l’administration peine à recruter, et près de 40 % des admis renonceraient au terme de la première année.
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Pour Joaquim Pueyo, ancien directeur de la prison de Fleury-Mérogis et député de l’Orne (Nouvelle Gauche), l’explication est simple : « Autrefois, les comportements agressifs étaient liés aux difficultés du quotidien. A présent, la haine et la violence se déchaînent à l’encontre de l’autorité, de notre société, de ses valeurs. Pas surprenant que, face à la radicalisation, les surveillants deviennent des cibles. »
En prison, « imposer sa loi » se dit « tenir la taule ». C’est le secret de la tranquillité, mais ça demande de la puissance. Les Corses ont longtemps dominé la cour, comme on le voit dans « Un prophète » d’Audiard, mais les fondamentalistes les ont détrônés. « Les uns et les autres appliquent la même technique de “pêche” », raconte un officier du renseignement. « Les radicaux dealent le shit quatre fois plus cher “à l’intérieur” que dehors. Leur profit ? Jusqu’à 10 000 euros par mois. Ce qui leur permet d’accumuler les appareils électroniques, la nourriture, les produits d’hygiène. Ils offrent leur butin aux plus vulnérables, aux détenus fragiles, isolés, qui leur deviennent redevables, et le piège se referme. »
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Kader, un minot marseillais, petit et maigre, n’est libre que depuis quelques semaines. Il était tombé pour vols et deal de shit. Quand il me parle, sa jambe s’agite de soubresauts nerveux. « En prison, il faut survivre. Ça veut dire dormir sereinement, manger à sa faim. Pour ça, tu dois te rapprocher d’un camp. Sinon, au mieux, tu souffres. Au pire, tu crèves. Quand j’ai été incarcéré aux Baumettes [il baisse soudain la voix comme s’il avait peur qu’on l’entende], les barbus m’ont offert protection et téléphone portable… contre les cinq prières par jour. Je n’étais pas pratiquant, mais j’ai obéi. J’ai lu leur Coran, porté la djellaba, arrêté la musique dans la cellule, pris ma douche en caleçon. J’avais une vie pieuse, parce que c’était le seul moyen d’avoir la paix. On fait tous pareil, même les catholiques ! Un jour, ils m’ont demandé si j’étais prêt à faire le djihad. Ils disaient qu’ils pouvaient m’aider à organiser une action violente à l’extérieur. Ou à l’intérieur… »
L’auteur de l’agression, Christian Ganczarski, condamné à dix-huit ans de prison pour l’attentat de Djerba (21 morts) en 2002.
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Et ce n’est pas l’installation de quelques lignes dans les cellules qui va transformer les radicaux en agneaux. « Ils se savent surveillés, se rasent, fument du shit. Ils sont polis, parfois aimables. Avec des profils atypiques, comme cet ingénieur nucléaire ou cet étudiant en médecine. Surtout, ils évitent les effets de masse, ils ciblent une proie à la fois », observe un gardien. Sur les quelque 70 000 détenus des 186 prisons françaises, près de 1 400 sont considérés comme des radicaux. Parmi eux, des « volontaires contrariés », interpellés juste avant leur départ pour la Syrie ou l’Irak.
Dans l’Oise, pendant six mois, un groupe de quatre détenus radicaux avait pris la place de l’imam, qui laissait faire par crainte de représailles !
Près de 15 % des détenus se seraient radicalisés en prison. « Accuser systématiquement les prisons, c’est déresponsabiliser les familles, l’Education nationale, les services sociaux, la police, l’Etat… », se révolte un agent. Depuis les attentats de « Charlie », en janvier 2015, le nombre de radicalisés n’a fait que grandir. En 2015, ils étaient 700. En 2016, 1 336. Les auteurs d’infractions terroristes étaient 90 fin 2014, ils sont 349. Selon des sources proches du ministère, il y aurait chaque semaine « une demi-douzaine d’incarcérations pour association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste [ATM]… »
En octobre 2017, un quatrième projet d’attentat élaboré en prison avait été déjoué à Fresnes. Deux condamnés pour délits de droit commun, Charles-Henri, un Camerounais de 28 ans, meneur radical, et sa proie, Maxime, un Français de 22 ans converti à l’islam, tentaient de recruter, via leurs téléphones portables et des messageries cryptées, d’autres combattants incarcérés. Pas de plan de bataille bien fixé. Cela aurait pu être « une prise d’otages, un mitraillage », lancera Charles-Henri aux enquêteurs avant de saluer ses « frères tueurs du Bataclan ». C’est grâce aux communications de Charles-Henri avec un djihadiste de Raqqa, surveillé par les services de renseignement belges, que la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) a été alertée. Depuis novembre 2016, la surveillance s’était faite discrète. Les plans des détenus qui avaient bénéficié de réduction de peine ont été déjoués à deux jours de leur libération… Dans leur cellule, ils avaient caché un téléphone portable, une carte Sim et une tige en métal. L’analyse rapide du GSM permettra d’aboutir à une mise en examen, in extremis, pour « association de malfaiteurs terroriste criminelle ».
A Vendin-le-Vieil, tous les proches des surveillants soutiennent le mouvement. Salah Abdeslam doit y être incarcéré lors de son procès en Belgique.
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Ce 11 janvier, ce que Bernard, surveillant depuis deux décennies, redoutait, s’est produit : l’islamiste d’origine polonaise Christian Ganczarski, le « cerveau » de l’attentat de Djerba, a profité de l’ouverture de sa porte pour se jeter avec des ciseaux et une lame de rasoir sur trois gardiens en criant « Allah Akbar ! ». Aujourd’hui, les agents sont indignés : « Cela fait des années qu’on se prépare au pire. On sait qu’il va y avoir un mort parmi nous. On est passé près, il y a deux ans, à Osny, avec une tentative d’assassinat. Qu’attend-on pour réagir ? » Depuis 2003, un Bureau central du renseignement pénitentiaire opère au sein des centres de détention. Pour autant, un haut fonctionnaire reconnaît : « On s’est laissé déborder. » Au départ, les établissements misaient sur les aumôniers. Une aberration de plus. Les 50 à 70 % de prisonniers musulmans ne disposent que de 193 aumôniers de leur confession !
Alors qu’il y a 760 aumôniers catholiques, 377 protestants, 111 pour les seuls Témoins de Jéhovah et 75 pour les juifs. « C’est difficile de recruter des professionnels de confiance, explique un officier du renseignement. Ils sermonnent seuls dans les salles, sans surveillance. Dans l’Oise, pendant six mois, un groupe de quatre détenus radicaux avait pris la place de l’imam, qui laissait faire par crainte de représailles ! »
Les coups ont toujours existé, reconnaît Nicolas. Mais aujourd’hui, il y a le risque des armes. Les fouilles sont réduites et les couteaux en céramique, les téléphones en plastique ne sonnent pas sous les portiques
Resterait donc, pour lutter contre l’extrémisme, les activités : équitation, escrime, leçons de citoyenneté, concerts lyriques, boxe, musculation et cours de pétanque avec de vraies boules en acier ! Toutes les idées saugrenues sont les bienvenues… Un gardien raconte : « Dans un établissement, un parcours de santé a été installé sur le stade. Dans un autre, un directeur a proposé des cours de tir avec des armes à plomb, prétextant qu’il fallait aider les détenus à se concentrer… » Efficace ? Sans doute pas, à en croire les insultes – « mécréant », « koufar » –, voire les menaces de mort et d’égorgement, qui continuent à résonner entre les murs. Et pire parfois : le 11 septembre 2017, à Tarascon, un détenu a agressé un gardien puis frappé violemment au visage sa collègue en criant « Allah Akbar ! ». La surveillante s’est retrouvée au sol, évanouie, le nez en miettes. « Les coups ont toujours existé, reconnaît Nicolas.Mais aujourd’hui, il y a le risque des armes. Les fouilles sont réduites et les couteaux en céramique, les téléphones en plastique ne sonnent pas sous les portiques. Il y a aussi les bricolages. Régulièrement, nous découvrons des lames de 20 centimètres, aiguisées d’un côté, crantées de l’autre, fabriquées à partir d’une plaque en métal récupérée dans les ateliers. » Le personnel reconnaît qu’il n’est pas formé à gérer cette épidémie galopante. Manque de connaissances, manque de moyens : on compte en moyenne 1 surveillant pour 100 prisonniers. Il en faudrait 1 pour 50. « On peut faire le diagnostic, assure Olivier. Mais pas soigner, et encore moins guérir. On n’a ni le temps ni les compétences. »
Les syndicats réclament des prisons dédiées, des structures spécialisées avec des systèmes de sécurité adaptés. Ou de petits établissements ultra-sécurisés, totalement hermétiques au reste de la population. « Il faut absolument isoler ces radicaux. Des autres, mais aussi de leurs semblables ! » Les unités de prévention de la radicalisation (Upra) ont été abandonnées au bout de six mois. L’administration dispose désormais de trois quartiers d’évaluation de la radicalisation (QER), à Fresnes, Osny et Fleury-Mérogis. Le principe ? Des psychologues, des intervenants extérieurs et des conseillers d’insertion et de probation évaluent pendant quatre mois les détenus radicalisés. En fonction de leur niveau de dangerosité, ils sont ensuite orientés vers d’autres établissements. Les plus dangereux, « violents et prosélytes », seront soumis à un régime proche de l’isolement. Ça, c’est dans l’idéal ; parce qu’à Fresnes, « après évaluation, ils sont réintégrés dans la masse », révèle Frédéric Godet, délégué syndical Ufap-Unsa. Pas de budget. « Voilà pourquoi les prisons de France sont des Cocotte-Minute prêtes à exploser ! »
Ne vous croyez pas protégés parce que vous êtes à l’extérieur, résume Eric Rouvière, délégué Ufap-Unsa au centre de Tarascon. Et de citer cet incident : six mois avant « Charlie », un détenu, le corps enveloppé des huit couches du martyr, a poignardé à plusieurs reprises un gardien en hurlant « Allah Akbar ! ». La lame est passée à quelques millimètres de la moelle épinière. Pourtant, l’homme n’était à l’origine d’aucun incident disciplinaire. Surtout, il portait un christ immense tatoué dans le dos, et un crucifix trônait au-dessus de son lit ! « La prison est une boule de cristal. Ici, on observe ce qui se passera ailleurs plus tard. »