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Le roi Pyrrhus n’aurait pas cru à une postérité si grande que, 2300 ans après sa désastreuse victoire en Italie, tant de politiciens utiliseraient son nom pour caractériser une réforme des retraites. Ce lundi le vote de confiance au gouvernement passait tout juste à neuf voix près à l’Assemblée nationale : « victoire », s’autorise Elisabeth Borne, pendant que les nuages noirs s’amoncellent avant la grève générale ce jeudi 23 mars. À treize heures aujourd’hui, le Président de la République s’adressait aux Français via France 2 et TF1 pour expliquer ses choix, écartant toute mesure exceptionnelle pour les jours à venir. Le Président « entend » (le mot est récurrent), et maintient « résolument » le même cap. Ici, pas de « fusible » comme à l’Assemblée pour recevoir le torrent de critiques qui a suivi sa prise de parole. Le Président présenterait les Français « comme des paresseux drogués aux aides publiques », s’indigne Olivier Faure (PS). Marine Le Pen (RN) réagissait moins d’une heure plus tard ; on murmurait, même dans les rangs de la majorité, que la réforme serait une « victoire à la Pyrrhus », et la présidente du groupe Rassemblement national en fait cette fois une mise en garde pour le gouvernement face à la crise sociale, qu’elle enjoint à faire sienne la fameuse inquiétude du roi d’Epire : « Encore une victoire comme celle-ci et nous serons perdus. »
Pédagogie de la fermeté
Car l’apaisement faisait partie des objectifs affichés d’Emmanuel Macron lors de son interview, sans grand succès. La demi-heure d’entretien lui aura permis d’insister sur la continuité du projet présidentiel, et de justifier les choix déjà posés « en responsabilité » par un gouvernement qui a encore toute sa confiance, comme il l’a rappelé à plusieurs reprises. Élisabeth Borne a engagé cette confiance lundi, et le parlement a rendu son verdict, donc les jeux sont faits. Le Président s’en réjouit, mais ne trouve pas nombre d’avocats pour le soutenir… Même Éric Ciotti (LR), favorable à la réforme : « Les solutions proposées par le Président de la République ne sont pas à la hauteur de la crise politique et économique que nous vivons », déclarait-il prudemment dans un communiqué de presse. « Emmanuel Macron aurait-il le courage d’engager sa propre responsabilité dans un référendum ? » demandait de son côté Marine Le Pen : « je sais que non », conclut-elle. Le Président maintient, quoi qu’il en coûte, que « cette réforme est nécessaire, il n’y a pas 36 solutions ». Une constance à toute épreuve, même celle de l’opinion populaire.
« Le texte va poursuivre son cheminement démocratique », disait-il dimanche avant le vote de la motion de censure transpartisane. Celle-ci ayant échoué, il rappelle : « la démocratie, c’est même à une voix près ». À partir de cette même logique, « la foule, quelle qu’elle soit, n’a pas de légitimité face au peuple qui s’exprime souverain à travers ses élus ». Pourtant le fossé se creuse entre le souverain et sa représentation, et le Président lui-même semble paradoxalement en être conscient malgré les discours, lorsqu’il s’estime « prêt à endosser l’impopularité » de la réforme.
Pourquoi 13h ?
Sans surprise, les syndicats n’espéraient pas de revirement soudain lors de l’allocution présidentielle à la mi-journée. Le président de la CFE-CGC François Hommeril déclarait à France Bleu Touraine « Je n’attends rien. Il ne remet pas en question ses décisions ». De même pour Philippe Martinez (CGT), qui ne s’est pas pour autant privé de fustiger le « foutage de gueule » de la communication élyséenne. Au-delà même du fond, un point a concentré la gronde : l’horaire.
Plusieurs hypothèses se disputent pour expliquer le choix d’une telle heure. L’explication plus ou moins officielle, livrée d’une source à l’Élysée pour La Dépêche du Midi, serait qu’Emmanuel Macron « a fait le choix des territoires. En province, le retour au domicile pour la pause méridienne est une tradition, tout comme est une habitude le déjeuner devant le journal télévisé ». Chou blanc pour convaincre, quand les internautes ironisent déjà sur la considération pour les « provinciaux », s’inquiétant de savoir si l’allocution sera bien « traduite en patois ».
Que la raison invoquée soit véridique ou non, beaucoup ont vu dans ce créneau inhabituel une bravade aux contestataires de la réforme, surtout les plus mobilisés qui sont plutôt urbains et rarement disponibles à un tel horaire. Il privilégierait alors son électorat retraité, plus conciliant.
Un moyen, pour d’autres, de relativiser la gravité de la situation en délaissant les horaires de grande écoute qui passeraient davantage le message devenu refrain : « nous sommes en guerre ». Ici, pas de guerre, mais la démocratie, le peuple et ses représentants. Fussent-ils chahutés.