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Troisième volet de notre enquête sur l’explosion du système démocratique français : « À quoi sert encore l’élection présidentielle ? » Publié aux éditions de La Nouvelle Librairie, l’essai de de Frédéric Rouvillois et Christophe Boutin, « Les parrainages. Ou comment les peuples se donnent des maîtres », sort au moment où le candidat Éric Zemmour n’est pas certain de réunir ces 500 signatures et où Marine Le Pen s’alarme d’une « situation démocratiquement terrifiante ».
À quoi sert encore l’élection présidentielle ? « À légitimer mon général ! » me répondra-t-on. Mais à légitimer quoi et qui ? Rouvillois et Boutin, après un long exposé mené d’une main de maître, en viennent à cette conclusion limpide : nous vivons sous une République censitaire. Et en effet, après la lecture de leur livre, il nous saute aux yeux, qu’effectivement, l’élection du chef de l’État français ne se réalise plus selon un processus que nous pourrions qualifier de pleinement démocratique. Vu que la liberté fut drastiquement restreinte concernant la désignation des possibles candidats à la présidentielle, il est certain qu’aujourd’hui nous vivons dans un « système de suffrage restreint ». Le suffrage censitaire est donc de retour en France depuis 1976.
Ce modèle du suffrage censitaire pour les autres élections est en place depuis longtemps. Si le haut taux de participation de l’élection présidentielle cache encore le poteau rose, tout le monde constate dans les autres élections que le « roi est nu ». Pour cela, il suffit de constater les chiffres de participation catastrophiques des autres élections. Par exemple, lors des dernières élections régionales, le taux d’abstention, déjà en hausse d’année en d’année, battait un record inédit avec 66,72 % d’abstention lors du premier tour. Ce taux atteint même des chiffres encore jamais égalés avec 87 % chez les jeunes de 18 à 24 ans. Le chiffre est à peu près équivalent chez les bas revenus. Rappelons aussi qu’aux dernières législatives, le taux d’abstention atteignait déjà des records avec 51,3 % au premier tour, puis 57,36 % au second.
Il s’agit aussi de constater que si les scrutins intermédiaires sont déjà la chasse gardée des inclus, des habitants des métropoles mondialisées, des bourgeoisies de droite et de gauche, des retraités, et des fonctionnaires qui votent, pour finir, en petit comité pour leurs candidats validés par le système ; l’élection présidentielle qui devait rester comme le dernier bastion de la souveraineté populaire est en réalité déjà perdue. Pour commencer, par cette question des parrainages que nous venons d’aborder, mais aussi pour les résultats mêmes de ces élections présidentielles. Tenez, prenez par exemple celle de 2017. Macron fit 15 % au premier tour des inscrits, ce qui ne l’empêcha pas d’avoir la majorité absolue lors de l’élection législative qui suivit. En face, les candidats dits « hors-système » comme Le Pen, Mélenchon et Dupont-Aignan récoltaient 45 % des votants. Beau score me direz-vous. Or, aux législatives qui suivirent, l’addition des trois ne représentait que 4 % de la représentation nationale. Que dire de plus ?
La dynamique funeste de la démocratie moderne
Devons-nous être choqué par de pareils agissements ? Devons-nous nous sentir flouer par l’arrachement au peuple de son pouvoir souverain aux bénéfices d’une oligarchie toute-puissante dans nos démocraties libérales et modernes ? En réalité, pas le moins du monde. Tout suit son cours comme cela devrait l’être pour nos démocraties contemporaines. Déjà aux temps de la Révolution, l’exclusion du peuple fut considérée comme une chose normale par la Convention de 1792. Lorsqu’elle se constitua sur un corps électoral vierge de toute souche « prolétarienne », Marx pu dire sa phrase prophétique qui annonçait que la classe révolutionnaire par excellence était la bourgeoisie. Pendant une grande partie de la Révolution française, le suffrage censitaire était le mode normal de suffrage. Rouvillois et Boutin nous rappellent que même sous la Restauration et la monarchie de juillet, la distinction entre deux catégories de citoyens, les passifs et les actifs, demeurait la technique de séparation choisie afin de déterminer ceux qui étaient aptes « à participer aux affaires de la Cité », et ceux qui ne l’étaient pas. Aujourd’hui, ces techniques sont plus insidieuses et mieux cachées, mais il n’empêche que dans les faits elles continuent de fonctionner à « plein pot ».
Alors devons-nous nous étonner que nos démocraties modernes suivent cette ligne de pente naturelle opposée ouvertement aux peuples ? Pas le moins du monde en réalité. L’erreur serait de considérer la démocratie contemporaine comme un seul régime politique. Or, elle est bien plus que cela. Elle est une dynamique, un mouvement, un processus historique.
Fondée sur un effacement des frontières et un nivellement des différences, la démocratie moderne considère la nation et la souveraineté populaire comme des corps étrangers. Pour elle, seule la logique du contrat réalisée au nom de la liberté de choix des contractants – ce qui veut dire pour elle des individus indifférenciés – est valable. Aucun corps politique constitué autour d’une tradition nationale, d’une identité ethnoculturelle, et de souvenirs historiques ne doit pouvoir faire prédominer sa majorité afin de donner le ton de sa conduite au gouvernement.
Les adeptes de la démocratie moderne, dont les libéraux forment le gros de la troupe, pensent que la rationalité de la volonté générale est une illusion. Pour eux, le corps politique est la victime complaisante des plus basses propagandes et des pires propositions démagogiques. Baisse de la rationalité, perte du sens de la responsabilité, et impulsions émotives sont le lot commun de ce peuple « gamin » et « primitif » dans ces choix. Dans ce cas, pourquoi lui donner encore la parole ? Il est par conséquent normal, selon elle, que le pouvoir exercé par le peuple s’amoindrisse et devienne nul. La dynamique de la démocratie moderne n’est que cela. Elle n’est que ce passage de la démocratie directe à la démocratie représentative. OPA qui sera réalisé au bénéfice d’une élite constitué autour d’une classe sociale déterminée qu’est la bourgeoisie.
La démocratie moderne n’est que la reprise de la célèbre distinction entre Antiques et Modernes que Benjamin Constant esquissa. Pour lui et la démocratie contemporaine, les Modernes ne seraient que des êtres ne tenant – avant toute chose – qu’à leur autonomie individuelle, à leur vie privée ou à leur bonheur immédiat. Ainsi il suffira de mettre en place une administration des choses publiques réservée à des représentants, pour que les choses se passent pour le mieux. Le citoyen n’a plus, selon la tradition libérale, à se soucier de sa participation aux affaires de la Cité qui était, auparavant, le cœur même de la compréhension de la liberté pour les Anciens. Le programme du processus de démocratisation moderne tient donc dans cette phrase de Paul Valéry : « La politique fut d’abord l’art d’empêcher les gens de se mêler de ce qui les regarde. »
La volonté de destruction des communautés politiques
Il est tout à fait normal que la démocratie moderne considère le mode de désignation par l’élection comme l’unique fondement de toute légitimité. Depuis les Lumières et 1789, le principe de souveraineté réside dans la nation (article 3), et dans la loi qui est l’expression de la volonté générale (article 6). Ainsi, son but fut de produire – pour elle, la démocratie moderne – les techniques de désignations des gouvernants par les gouvernés de manière à ce que la souveraineté populaire se fasse le moins ressentir.
Elle ne peut supprimer directement l’élection puisque cela contreviendrait à l’un de ces impératifs moraux qui est l’élection des gouvernants. Toutefois, l’ensemble des mesures, dont les parrainages sont l’un des aspects, que la démocratie moderne mit en place pour brider directement la souveraineté du peuple lui permit de garder sa « virginité » démocratique, tout en l’ayant totalement dévoyée selon la définition des Anciens.
Nous voyons que les parrainages ne sont, finalement, qu’un des nombreux instruments qui participent à un processus clairement identifié d’anéantissement de toute souveraineté populaire. Mené par le modèle de la démocratisation des institutions, celui-ci ne suit que sa volonté de s’étendre à toutes les sphères de la vie de l’homme pour l’arracher à ses anciennes appartenances. La démocratie libérale et moderne tend, inévitablement, à la destruction de l’État-nation et à l’avènement du mondialisme. Si les compétences ont été depuis deux siècles extirpées du peuple – même si des soubresauts ont été tentés comme en 1962 – ; bientôt, ce sera aux États à qui il sera demandé de transférer leurs compétences étatiques pour que de nouvelles institutions, cette fois-ci supranationales et à dimension universelle, puissent faire advenir ce monde de la parfaite homogénéité.
L’intégration européenne ne fut que la première marche de ce long chemin de la perte pour les peuples de leur souveraineté. En 1964, l’arrêt Costa de la Cour de Justice des communautés européennes énonça que le droit européen devait prévaloir sur le droit national, même postérieur. Les arrêts de la Cour de cassation et du Conseil d’État de 1974 (arrêt Jacques Vabres) et de 1981 (Nicolo) marqueront le consentement – la trahison ? – de nos institutions les plus hautes à cette décision. Nos élections peuvent bien nous divertir ou même nous agacer par ces escroqueries que sont les parrainages ; en définitive, elles ne changent rien. Pendant que les directives européennes doivent être obligatoirement transposées en droit interne, les règlements européens sont, quant à eux, d’application directe. Si on les additionne aux lois nationales issues de la transposition des directives européennes, nous arrivons, selon le chercheur Antonin Cohen, à une proportion de 80 % par rapport à nos lois strictement nationales.
Tous ces chiffres confirment ce sentiment de dépossession de la souveraineté populaire. Les gouvernements nationaux sont, eux-mêmes, que des chambres d’enregistrement des recommandations de la Commission européenne qui leur adresse chaque année des « ordres » au sujet de leurs dépenses, de leurs recettes, et des réformes qu’il serait bon de mettre en œuvre. Il faut, par conséquent, rendre hommage à ce livre qui nous aura permis de constater, une fois de plus, le malaise démocratique dans lequel nous vivons. Mais comme nous venons de le voir, la question des parrainages n’est que l’épiphénomène d’un mouvement qui brasse beaucoup plus large. Si on peut se réjouir que des sujets comme le Conflit de civilisation, l’islam, l’immigration, ou le Grand Remplacement tienne une place dans le débat politique qui lui revenait de plein droit ; on peut, néanmoins, se désoler de l’absence totale de débat sur notre « démocratie » et de son système. Combattre l’invasion islamique sur notre territoire est une avancée, mais ne pas parler de la perte de souveraineté en tant que nation et peuple est une faute qui se paiera cher tôt ou tard.
1 Pourquoi il ne faut pas que Zemmour, Le Pen et Mélenchon aient leurs 500 parrainages (1/3)
2 Pourquoi il ne faut pas que Zemmour, Le Pen et Mélenchon aient leurs 500 parrainages (2/3)
Rodolphe Cart, Revue Éléments
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