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Si la croissance des prix de l’énergie en général et du gaz en particulier, depuis l’été 2021, trouve ses origines dans une rupture structurelle de l’offre et de la demande déconnectée du conflit russo-ukrainien, l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le 24 février, aura, à court terme, des conséquences majeures sur les marchés énergétiques mondiaux. Alors que les prix du gaz s’étaient légèrement relâchés, depuis début février, en trois jours, ils se sont renchéris de 90 %. Quant au baril de pétrole, il n’est pas en reste : sur la seule journée du 24 février, il a franchi la barre fatidique des 100 dollars. S’il s’agit là d’une réaction à chaud des marchés, la position énergétique clé de la Russie (troisième producteur de pétrole, avec 12 % de la production mondiale, et deuxième producteur de gaz naturel, avec 17 % de la production mondiale) laisse peu de doute quant à l’effet dévastateur de ce conflit sur les marchés du gaz et du pétrole.
La Fédération de Russie est une « économie de rente » exportant de nombreuses matières premières : pétrole, gaz et charbon, mais aussi aluminium, nickel, cuivre, cobalt, or et platine. Le secteur des hydrocarbures représente à lui seul 40 % du PIB, 70 % des exportations et surtout 35 % du budget fédéral. La seule sanction économique réellement efficace serait que la communauté internationale cesse tout achat de gaz et de pétrole russes. Séduisante sur le papier, cette option déjà utilisée dans le passé sans grande efficacité en Irak et en Iran est-elle pour autant crédible ?
La moitié des exportations de pétrole russe est destinée à l’Union européenne dont, en priorité, l’Allemagne, les Pays-Bas et la Pologne. L’autre moitié transite plutôt vers l’Est et alimente d’anciennes républiques soviétiques ainsi que la Chine, dont la dépendance pétrolière atteint, aujourd’hui, 70 %. Si l’Europe imposait un embargo sur le pétrole russe, ce dernier pourrait trouver assez facilement preneur à l’Est. Un copier-coller de l’inefficace embargo iranien dont le pétrole proscrit en Europe s’écoulait vers l’Est au grand bonheur de l’empire du Milieu qui pouvait négocier des prix attractifs. En revanche, le déficit russe devrait, alors, être compensé en Europe par du pétrole en provenance du Moyen-Orient, voire du pétrole de schiste américain. Ce jeu de chaises musicales impacterait à coup sûr le prix du baril, faisant payer aux Européens leur demande au prix fort. Sauf à y associer la Chine, l’embargo pétrolier n’aurait donc que peu d’effet négatif sur l’économie russe. Il profiterait principalement aux producteurs pétroliers, tandis que l’Europe en serait le « dindon de la farce ».
La situation est différente pour le gaz qui, contrairement au pétrole, ne peut aisément se transporter d’un point à l’autre de la planète. L’Europe est le principal client de la Russie (40 % du gaz européen provient de Russie) et la Russie son principal fournisseur. Si l’Europe imposait un embargo sur le gaz russe, ce dernier ne pourrait pas trouver preneur, les principaux gazoducs (Brotherhood, Yamal, Nord Stream) pointant exclusivement vers l’Europe. La Russie verrait alors sa rente gazière réduite à néant. En théorie très efficace, cet embargo gazier est-il pour autant réalisable. En d’autres termes, l’Europe pourrait-elle se passer du gaz russe ?
Le seul substitut crédible s’appelle gaz naturel liquéfié. Transitant sur les océans via des méthaniers, il suffit, pour importer du GNL, de disposer d’un accès à la mer, d’installations portuaires dédiées et d’équipements de regazéification. De nombreux pays européens disposent de terminaux méthaniers sur la façade atlantique (Portugal, Espagne, France, Belgique, Pays-Bas), baltique (Allemagne, Pologne) et méditerranéenne (Grèce, Italie, Espagne). La France possède quatre terminaux à Fos, Dunkerque et Montoir-de-Bretagne. Une fois regazéifié, le gaz peut alors transiter dans le réseau pour alimenter les pays européens ne possédant pas d’accès maritime, comme la République tchèque ou la Slovaquie et qui, par ailleurs, sont les plus dépendants du gaz russe (85 % pour la Slovaquie et 100 % pour la République tchèque, contre seulement 17 % pour la France et 10 % pour l’Espagne).
Hélas, quand on regarde de près les quantités, les importations gazières de Russie représentent le tiers de la production mondiale de GNL. Une production provenant principalement du Qatar, du Nigeria, de Malaisie, d’Australie et des États-Unis, mais transitant principalement vers le Sud-Est asiatique (Chine, Japon et Corée), qui consomme plus de 70 % de la production mondiale. Les importations additionnelles de GNL vers l’Europe ne pourraient donc combler que très partiellement le déficit d’importations russe. Par ailleurs, le combat commercial autour du GNL entre l’Europe et l’Asie conduirait inexorablement à des cours stratosphériques que l’on ose à peine imaginer. Une situation juteuse pour les Américains nous vendant « généreusement » leur gaz de schiste liquéfié au prix fort.
Qu’il s’agisse de pétrole ou de gaz, les Européens se retrouvent donc en position de faiblesse et devraient être les grands perdants de ce jeu géopolitique américano-russo-chinois machiavélique. Sauf à fermer les yeux sur la situation ukrainienne et à tendre la main au tyran ou à accepter des restrictions énergétiques draconiennes, le consommateur européen doit malheureusement s’attendre, dans les prochains mois, à voir sa facture énergétique déjà élevée s’accroître à nouveau de façon très significative. Une situation complexe et inquiétante qui sera certainement l’un des dossiers les plus chauds pour le Président élu au soir du 24 avril.
Philippe Charlez, Boulevard Voltaire
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