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Ses parents vivent dans le sud de l’Ukraine, près d’Odessa. Tetyana a épousé un Français. Mère d’un jeune enfant, elle vit en France, près de Paris, mais conserve des liens étroits avec l’Ukraine où elle revient très souvent voir sa famille. Naturellement, cette russophone vibre pour son pays. Et tient à mettre les points sur les i. « Je précise que mon point de vue n’est pas celui d’une nationaliste de l’ouest mais celui d’une Ukrainienne lambda qui n’a jamais eu de méchant relent nationaliste. »
Pour elle, autant on pouvait être divisés sur certaines questions avant l’invasion de l’est de l’Ukraine et de la Crimée en 2014, « autant, aujourd’hui, on est assez unis comme nation, assure Tetyana, surtout pour une nation qui n’existe pas, d’après Poutine ! On n’existe peut-être pas mais en tous cas, il a fait un bon travail pour nous unir. » Pourquoi ? « Parce qu’on peut avoir des divergences, c’est vrai, entre Ukrainiens, mais quand vous vous réveillez le matin avec des frontières attaquées par un pays soi-disant ami, vous avez la gueule de bois. » Les Ukrainiens s’attendaient à une agression russe, assure-t-elle, mais pas sur toutes les frontières. « Donc, le mot qui domine chez les Ukrainiens aujourd’hui, c’est le choc », lance Tetyana, qui s’excuse. « J’ai peut-être des paroles incohérentes parce que je me suis endormie très tard et réveillée très tôt. Mais quand vous regardez votre portable et que les nouvelles annoncent que la Russie attaque l’Ukraine, c’est surréaliste. Ca nous paraît irréel ! » Pour elle, c’est comme si l’Allemagne attaquait la France pour récupérer l’Alsace. La vision occidentale n’est pas la même. « Les Occidentaux découvrent avec une sorte de naïveté que la Russie est derrière les conflits armés que nous vivons en Ukraine depuis huit ans », s’étonne-t-elle. Mais les Ukrainiens le savent depuis longtemps car « il n’y a pas beaucoup de séparatistes (pensez aux Corses, par exemple) qui ont des blindés et des lance-missiles : on a perdu 14.000 personnes en huit ans ». Une question très sensible. « Pour nous, chaque perte, c’est le fils, le père, le frère de quelqu’un. » Aujourd’hui, Poutine a enclenché un cran supplémentaire. « Le fait de se réveiller et d’être attaqués de tous les côtés, du nord, du sud, d’avoir des bombardements presque en ville sur les civils, cela, on ne l’a pas connu », tranche Tetyana. Même dans les moments de tension, ces dernières années.
C’est la brutalité de cette bascule qui la touche le plus. « Mes parents étaient encore chez moi en France, voilà quatre jours, pour les vacances. Ce matin, en allant à l’école, toutes mes amies me demandaient s’ils ont pu rester, mais mes parents ont leur pays, leur travail, là-bas. » Ils sont repartis. Les Ukrainiens sont attachés à leur patrie. « On parle beaucoup de la vague d’immigration qui risque de déferler sur l’Europe, mais, vous savez, les Ukrainiens n’ont pas du tout la volonté de partir à tout prix, au contraire. Ils veulent revenir car on ne sait pas de quoi l’avenir sera fait. » Elle-même se demande si sa place est bien en France. « Si je n’avais pas ma fille à garder ici, je pense que je serais revenue, juste pour être utile », dit-elle. Coincée près de Paris, elle plaisante. « Ma mère est économiste, elle travaille dans une caserne militaire : je lui ai envoyé une blague, si tu entends une bombe, tu te caches sous la table ! Que faire ? On fait de l’humour noir, on tente de cultiver les résiliences. »
Le peuple ukrainien fait de même. « Il y a des bouchons sur les routes, des queues devant les distributeurs de billets mais, pour un pays qui a découvert la guerre ce matin en se réveillant, les réactions ne me paraissent pas démesurées : les gens font leurs provisions, ils achètent dans les pharmacies, le système tient. » Le pouvoir tente de rassurer, explique que cela ne sert à rien de dévaliser les magasins ou les pharmacies. À Kiev, les écoles sont fermées, comme les cafés. Les retraits d’espèces ont été limités par les banques mais le plafond est de 30.000 euros. « Il n’y a pas de crise aiguë, assure Tetyana. Juste une inquiétude car il y a des chars ennemis aux frontières. On se demande à quelle sauce on va être mangés, mais le gouvernement répète que la panique pourrait paralyser le pays. Donc, on essaie de ne pas paniquer pour ne pas nuire au fonctionnement des institutions. Et on se soutient. »
Aujourd’hui, Tetyana, comme ses compatriotes, est dans l’expectative. « On ne sait pas quel sera le prochain pas de Poutine. L’idée qui domine, c’est qu’il a perdu la tête. Que veut-il ? Que va-t-il faire après ? Que peut-on attendre de lui ? » Aujourd’hui, la Russie est difficile à défendre, estime-t-elle, mais elle a déjà le mot de la fin. « Je ne sais pas si Poutine peut gagner ou pas, mais du point de vue spirituel et moral, à mon avis, il a perdu, car il a réussi à faire ce que des années d’Histoire n’avaient pas réussi : réunir cette nation ukrainienne face à un ennemi qui nous attaque. »
Marc Baudriller, Boulevard Voltaire
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