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Si la crise ukrainienne aura rappelé aux Européens leur nanisme géopolitique et militaire, une de ses conséquences aura été de faire basculer la Russie vers l’Asie, vers une Chine elle-même engagée dans un processus d’émancipation économique et financière vis-à-vis d’un Occident désormais perçu comme hostile.
La diversification des approvisionnements technologiques, le développement de débouchés économiques alternatifs et la dédollarisation constituent aujourd’hui des axes majeurs des politiques sino-russes qui ont pour but avoué la réduction de leur exposition à d’éventuelles sanctions économiques.
Cette course au développement autonome est d’ores et déjà matérialisée, côté chinois, par l’initiative dite des nouvelles routes de la soie lancée, il y a bientôt dix ans, et l’entrée en vigueur, le mois dernier, du Partenariat économique régional global[1], qui représente la plus grande zone économique de libre-échange de la planète, avec 30 % du PIB mondial.
Côté russe, l’Union économique eurasiatique (UEEA)[2], créée en 2015, constitue un vaste espace continental de libre-échange entre la Chine et l’Union européenne. Il n’est d’ailleurs pas inintéressant de noter que les échanges économiques bilatéraux sino-russes ont augmenté d’un tiers, sur l’année 2021, pour approcher les 150 milliards de dollars, que les échanges intra-UEEA augmentaient dans les mêmes proportions pour le seul premier semestre et que d’autres accords de libre-échange sont actuellement en cours de finalisation par les deux géants avec l’Amérique latine et l’Afrique.
Cette émancipation s’illustre également dans le domaine militaire où l’Amérique voit sa suprématie de nouveau contestée. En effet, alors que la guerre cyber atteint des niveaux d’intensité inédits, des simulations et autres « jeux de guerre » donnent régulièrement les États-Unis perdants face à une Chine forçant le détroit de Taïwan, tandis que les représentants du complexe militaro-industriel américain viennent de se faire sermonner sur leur incapacité à proposer des vecteurs hypersoniques crédibles en regard des récents tests réussis tant par les Chinois que par les Russes susceptibles de remettre en question le sacro-saint équilibre de la dissuasion nucléaire.
Située au beau milieu de ce nouveau jeu de quilles et disposant d’un pouvoir de négociation accru au sein de l’Union européenne depuis le départ du Royaume-Uni, la France ne doit pas laisser passer sa chance de se repositionner, de déterminer rapidement où se situent ses intérêts essentiels et comment les faire prospérer. Puissance à la fois maritime et continentale, elle peut sortir par le haut non seulement du carcan péninsulaire dans lequel elle s’est alanguie mais également d’une politique étrangère consistant en un alignement inconditionnel sur les États-Unis qui s’achève en impasse.
Cela suppose autre chose qu’un simple désir ou une vague intuition dont on sent bien qu’Emmanuel Macron est imprégné lorsqu’il essaie de maintenir des ponts ouverts avec Moscou, tant il est flagrant que le cadre dans lequel il restreint son action et inscrit sa pensée voue irrémédiablement toute initiative à l’échec. En la matière, le « en même temps » est à proscrire au profit du « une chose à la fois », a fortiori lorsque la situation intérieure du pays n’autorise qu’une politique de petits pas.
Le futur président de la République aura donc à trancher une question fondamentale : la France a-t-elle encore, dans ce chaos, un avenir en tant que nation libre et indépendante, protectrice de ses citoyens et s’inscrivant dans une démarche de prospérité à long terme, ou bien les Français doivent-ils remettre leur destin en d’autres mains échappant à leur contrôle ?
S’il choisit la seconde proposition ou choisit de ne pas choisir, alors le livre se refermera. S’il choisit la voie que notre pays a toujours empruntée depuis quinze siècles, alors il devra être convaincu lui-même avant de convaincre les Français. En attendant, qui veut mourir pour Kiev ou pour Taipei ?
[1] RCEP : Regional Comprehensive Economic Partnership réunissant la Chine, l’ASEAN, le Japon, la Corée du Sud, l’Australie et la Nouvelle-Zélande.[2] UEEA : Fédération de Russie, Arménie, Biélorussie, Kazakhstan et Kirghizistan.
Jean-Marc Chipot, boulevard Voltaire
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