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Peut-on décemment reprocher à Cendrillon de rêver d’amour lorsque son propre environnement le lui interdit en la diminuant, en la soumettant, en la bâillonnant, en l’assignant au cachot du désespoir, en la privant de concourir au cœur des hommes qui, au dire des moralisateurs de notre ère, la réduirait à la condition même de femme ? N’y voyez-vous pas là le paradoxe de ce combat censé l’élever ? Finalement, le ridicule de Javotte et Anastasie, nourri d’une jalousie maladive, devient désormais l’allégorie de ce néo-féminisme frustré et destructeur.
Peut-on raisonnablement plaindre ou victimiser Blanche-Neige qui, au lieu de recourir au défibrillateur ou d’être placée en soins palliatifs, renaît par le plus pur souffle d’amour d’un prince, coupable de s’être pudiquement penché sur son lit de mort pour lui rendre la vie, de s’être laissé guider par la plus noble et chevaleresque des intentions ?
Devrait-on reprocher à la Belle d’avoir succombé à la Bête ? De s’être secrètement ralliée au destin d’un monstre dont chaque geste brusque se changea progressivement en témoignage d’amour ? D’avoir dompté un animal pour le rendre homme et non l’inverse, encouragé par ces braconniers lobbyistes ?
Si les défenseurs de la nouvelle condition féminine se rangent du côté des sorcières, demandez-vous de quel côté se place la véritable dignité. Si le baiser guérit du désir et de la tentation vaniteuse, mais qu’au nom de l’indépendance des sexes et de l’égalitarisme des genres, ce baiser devient un variant du Mal, demandez-vous qui tient les ficelles de votre propre liberté de conscience et vous incite à rendre cette harmonie nocive, de confondre la fragilité et la faiblesse. S’il faut culpabiliser du peu d’amour que l’on donne ou que l’on reçoit, d’un baiser volé, d’un baiser donné, d’un baiser repris, d’un baiser rendu… Téléportez-moi dans cette fiction que l’on appelle « passé ». Donnez-moi la plus banale réplique d’amour, la plus belle, la plus inacceptable, sur un quai hivernal par exemple, entre les bras audacieux d’un déserteur en 1938 : « Embrassez-moi. »
Maud Protat-Koffler, Boulevard Voltaire