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Prigojine, le héros national endosse l’habit du traître à la patrie en guerre
Voici ce que j’écrivais ce matin, avant d’apprendre en fin de journée que la situation se calme.
Est-ce un coup tordu de la CIA après l’incapacité de l’Otan à vaincre la Russie ? Tout est possible mais acheter Prigojine me parait difficile. Nous le saurons un jour. Soit le putsch est étouffé dans l’œuf et Prigojine se retrouve en Sibérie, soit l’affrontement tourne à la guerre civile, ce qu’aucun Russe censé ne souhaite alors que le pays mène une guerre existentielle contre l’Occident.
La milice Wagner, c’est un État dans l’État, mais qui dépend étroitement du ministère russe de la Défense pour ce qui est des moyens militaires alloués. Si Moscou stoppe son aide, Prigojine n’est plus rien. Est-ce un regain de tension avec le haut commandement qui a poussé le chef de Wagner à se rebeller ? Est-ce une ambition personnelle démesurée ? Est-ce la colère envers Poutine qui ne réagit à aucun franchissement des lignes rouges par l’Otan, ce qui a conduit à la livraison des F-16 et fait que la guerre s’éternise au prix de lourdes pertes ? En tout cas, sa tentative a tout d’un accès de folie et d’une action désespérée. Toutes les autorités en Russie la condamnent. Un putsch est impardonnable, quelles que soient les raisons de le tenter.
Il n’y a pas pire déshonneur que le manque de loyauté et pire crime que la trahison envers son pays. En annonçant une rébellion armée contre le pouvoir légitime en place à Moscou et contre le haut commandement militaire, que ce soit Choïgu ou Guerasimov, alors que toute la nation russe est en guerre, Evgueni Prigojine est passé en quelques heures du statut de héros national vainqueur de Bakhmut à celui de pire traître à la nation russe, plongée dans la guerre.
Voilà des semaines que je déplorais les critiques quotidiennes du patron de Wagner envers le haut commandement russe, sans comprendre ses motivations. Le lien ci-dessous en témoigne, si vous remontez dans le temps, vous lirez ses attaques incessantes. À quoi jouait donc Prigojine ?
https://riafan.ru/category/army
Tout s’éclaire aujourd’hui. Ivre de ses succès militaires et de son aura au sein des armées, il entend désormais décider en lieu et place de Poutine. Veut-il la place du tsar ? Allez savoir… Si toute l’armée le suivait, nul doute qu’il s’installerait au Kremlin.
Le chef de Wagner affirme aligner une force de 25 000 hommes pour marcher sur Moscou et libérer le peuple russe d’un pouvoir corrompu, invitant toutes les unités de l’armée régulière à le rejoindre ou à ne pas s’opposer à son putsch. Voir l’article de Boris Karpov.
Cette tentative de putsch est un véritable coup de poignard dans le dos des soldats russes, qui se battent sur le front ukrainien alors que l’arrière risque de sombrer dans une guerre civile.
On ne gagne pas une guerre sans une totale union nationale et un soldat ne peut se battre et accepter le prix du sang sans le soutien indéfectible de l’arrière. Prigozine, sous couvert de patriotisme, met son pays en danger et démoralise l’armée au combat.
Les ennemis de la Russie, qui sont légion, n’en espéraient pas tant. Certains jubilent, surtout après la désastreuse contre-offensive ukrainienne qui se solde par la perte de 40 000 combattants, tués, blessés, prisonniers, disparus ou déserteurs. Difficile de savoir où en sont les événements. Comme dans tous les putschs de l’histoire, tout va dépendre du choix que feront les chefs militaires de l’armée régulière, fidélité au pouvoir ou trahison ? D’autres voient dans cette rébellion une belle opportunité pour Kiev. Zelensky pavoise déjà, mais un peu vite.
Tobias Ellwood, président du comité de défense conservateur de la Chambre des communes, a qualifié ce qui se passe « d’énorme opportunité pour l’Ukraine de profiter de la rébellion et du chaos actuels en Russie ».
Apparemment, Prigojine se serait emparé des sites militaires de Rostov et de l’aéroport. Mais qu’en est-il ? C’est une guerre de communiqués qui inonde les réseaux.
Prigojine défie Moscou mais en a-t-il les moyens ? Sa milice seule n’a aucune chance si une partie de l’armée ne bascule pas de son côté. Le 24 juin à 18 heures françaises, la situation reste confuse.
Poutine s’est exprimé durement envers les mutins :
“Ce à quoi nous sommes confrontés est une trahison. Tous ceux qui se sont délibérément engagés sur la voie de la trahison subiront une punition inévitable. Les forces armées ont reçu les ordres appropriés.”
Quant au chef de Wagner il refuse de déposer les armes :
“Le président a fait une erreur, nous ne sommes pas des traîtres à la patrie. Nous sommes des patriotes.”
“Nous nous sommes battus et nous nous battons. Tous les PMC de Wagner. Et personne ne va se rendre à la demande du président du FSB et de qui que ce soit d’autre, car nous ne voulons pas que le pays continue à vivre dans la corruption, la tromperie et la bureaucratie. Ceux qui nous opposent aujourd’hui, ils se sont regroupés autour de la racaille.”
De son côté, le leader Tchétchène Kadyrov affiche sa fidélité à Poutine.
Les forces spéciales tchétchènes “Akhmat” entendent mater la rébellion.
“Les combattants du ministère de la Défense et de la Garde russe en République tchétchène sont déjà partis pour les zones de tension. Nous ferons tout pour préserver l’unité de la Russie et protéger son statut d’État”.
Pour ma part, je trouve infiniment regrettable que des troupes d’élite, comme celles de Kadyrov qui ont pris Marioupol et celles de Prigojine qui se sont emparées de Bakhmut, après des mois de durs combats sous la bannière russe, s’affrontent aujourd’hui
Medvedev enfonce le clou :
“Le ralliement autour de notre président et du commandant en chef suprême des forces armées du pays est crucial pour vaincre l’ennemi extérieur et intérieur, qui cherche à déchirer notre patrie, et pour sauver notre État. La scission nationale et la trahison conduiraient à la la plus grande tragédie de tous les temps et une catastrophe universelle. Nous ne laisserons pas cela se produire. L’ennemi sera écrasé. La victoire sera à nous”.
Le chef du Service de renseignement extérieur ajoute :
“Une tentative de rébellion armée, une trahison, entreprise derrière le dos d’une armée combattante, est le crime le plus terrible qui ne peut être justifié par aucun mérite passé. Nos ennemis n’ont jamais été capables de vaincre la Russie par la force des armes, alors ils ont parié sur la division de notre pays de l’intérieur.”
Et le général Sourovikine appelle les mutins à la raison :
«J’en appelle à la direction, aux commandants et aux combattants de Wagner PMC. Nous avons parcouru un chemin difficile avec vous. Nous nous sommes battus ensemble, avons pris des risques, subi des pertes, gagné. Nous sommes du même sang, nous sommes des guerriers. Je vous exhorte à arrêter, l’ennemi attend juste que la situation politique interne s’aggrave dans notre pays. Vous ne pouvez pas faire le jeu de l’ennemi en cette période difficile pour le pays»
Attendons d’en savoir plus. Le parlement russe et les institutions du pays invitent l’ensemble des citoyens, militaires et civils, à rester fidèles à Vladimir Poutine, chef suprême de la nation en guerre. Je ne jouerai pas les devins, mais il me semble que les chances de succès de ce putsch intempestif sont plus que fragiles. À condition que Poutine stoppe l’offensive de Wagner sans états d’âme.
Les meilleurs avions de combat au monde, c’est fait pour servir et une colonne armée qui roule vers Moscou, ça se stoppe.
Prigojine a-t-il toute sa tête et a-t-il pesé les risques de son coup d’éclat ? Quand on est âgé mais fortuné, il y a mieux à faire que finir ses jours en prison. En attendant, la roulette tourne.
Je peux me tromper, mais je pense qu’il a tout misé sur le “rouge” et que c’est le “noir” qui va sortir. Le plus tôt sera le mieux pour ne pas démoraliser les troupes au combat.
Si je me trompe et si Prigojine arrive à Moscou dans les heures qui viennent, c’est que Poutine n’aura pas utilisé son aviation à temps ou que l’armée régulière aura basculé dans le camp des mutins.
À cette heure, difficile d’y voir clair, car au-delà des condamnations unanimes, personne ne connait les plans de Poutine et du commandement pour barrer les mutins.
Dénouement
Pour le plus grand bien de la Russie et pour le moral de l’armée sur le front, on apprend vers 19 heures que des négociations ont eu lieu toute la journée entre Loukachenko et Prigojine, en accord avec Poutine, pour éviter un bain de sang fratricide.
« Evgueni Prigojine a accepté la proposition du président biélorusse, Alexandre Loukachenko, d’arrêter les mouvements des hommes armés de la société Wagner et des mesures pour une désescalade des tensions »
Nous ne connaissons pas encore le contenu de l’accord qui a permis de faire retomber la pression. Mais voilà une tentative de putsch qui se termine vite et bien, avec un minimum de victimes.
Il appartient maintenant à Poutine de décider du sort de Prigojine et de sa milice, ainsi que de faire le ménage dans son armée, dont certains éléments ont soutenu les mutins.
La Russie a évité le pire et c’est bien l’essentiel. À Kiev, ceux qui rêvaient d’une nouvelle révolution russe en sont pour leurs frais.
Jacques Guillemain, dans Riposte Laïque
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