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#webtube : Jean Montalte nous invite à nous plonger dans « Houellebecq économiste », l’ouvrage dans lequel Bernard Maris décrypte l’œuvre de Michel Houellebecq à travers le prisme de l’économie, cette « science lugubre » qui régit notre époque. De l’aliénation marchande à la critique des pseudo-sciences, l’essai explore la façon dont l’écrivain dénonce l’économisme forcené, révélant un monde où l’homme, écrasé par la tyrannie du marché, aspire à retrouver du sens et des valeurs éthiques.
L’économie est notre destin, prophétisait Karl Marx. Bernard Maris, dans son essai intitulé Houellebecq économiste, s’interroge plutôt sur la pérennité de cette confrérie et du lustre que lui valut une science apparemment durement acquise : « Qui se souciera de l’économie, et de ses prêtres, les économistes ? Dans quelques décennies, un siècle, plus tôt peut-être, il apparaîtra invraisemblable qu’une civilisation ait pu accorder autant d’importance à une discipline non seulement vide mais terriblement ennuyeuse, ainsi qu’à ses zélateurs, experts et journalistes, graphicomanes, aboyeurs, barons et débatteurs du pour et du contre (quoique l’inverse soit bien possible). L’économiste est celui qui est toujours capable d’expliquer ex post pourquoi il s’est, une fois de plus, trompé. » Voyez notre Alain Minc national, théoricien du fameux « cercle de raison », qui a passé sa carrière à se tromper sur le terrain même de sa prétendue expertise, l’économie, sans perdre le moins du monde sa position de prestige et d’influence…
L’essayiste rappelle qu’au temps de Louis XIV, les économistes – en ce temps-là « les physiocrates » – faisaient l’objet d’un souverain mépris, réputés qu’ils étaient de former une secte – c’est ainsi qu’on surnommait « la secte » leur engeance – qui s’illustrait par des raisonnements compliqués, abscons, inintelligibles, à seule fin d’intimider le non-initié à ces mystères dont il étaient les Sphinx. Mais aujourd’hui, tout a changé, les parias sont devenus les maîtres, clercs d’une religion séculière à l’usage d’un monde livré au règne de la quantité. Bernard Maris constate : « Comme jamais, notre époque est gorgée d’économie. Et si elle fuit le silence, shootée à la musique des supermarchés et au bruit des voitures tournant sur elles-mêmes, elle ne se passe plus non plus des rengaines de la croissance, du chômage, de la compétitivité, de la mondialisation. Au chant grégorien de la Bourse, ça monte, ça baisse, répond le chœur des experts, emploi, crise, croissance, emploi. […] Lugubre science. Diabolique et sinistre, l’économie est la cendre dont notre temps couvre son triste visage. »
Bernard Maris garde bon espoir : « Qu’un prix international, baptisé « Nobel » par ceux qui en usurpent le nom – des banquiers auto-promus donateurs du prix éponyme -, eût été remis pour des bavardages émaillés d’équations à des chercheurs de chimères paraîtra un jour aussi étrange, ou du moins du même tabac, que l’inscription sur un livre traduit en deux cents langues du record du plus grand ouvreur de canettes de bières avec les dents. Et les livres d’économie ne mériteront même plus la critique rongeuse des souris. »
L’effondrement qui vient
En attendant l’effondrement annoncé et que nous peinons à voir poindre à l’horizon, il s’agit de s’interroger sur l’économisme forcené de notre temps, ce que Julius Evola résumait en une formule frappante : « la démonie de l’économie ». Louis Dumont, dans son livre Homo aequalis, sous-titré Genèse et épanouissement de l’idéologie économique a retracé l’histoire de la montée en puissance de cette caste et de la catégorie économique, affranchie progressivement des mesures politiques et religieuses qui bornaient son influence et sa portée. Et Houellebecq se situe au point d’aboutissement de cette histoire. L’écrivain français en a pleine conscience. Son œuvre porte la marque de l’aliénation subie par l’homme dans une société réduite aux impératifs marchands ou, comme disait Foutriquet alias Giscard, « une société libérale avancée ».
Dans son recueil intitulé Le Sens du combat, un texte porte le titre Dernier rempart contre le libéralisme. Il y déclare ceci : « Nous devons lutter pour la mise en tutelle de l’économie et pour sa soumission à certains critères que j’oserai appeler éthiques. » Ce en quoi il fait écho à John Maynard Keynes qui écrit dans Essays in persuasion. « Ainsi donc, l’auteur de ces essais continue d’espérer et de croire que le jour n’est pas éloigné où le Problème Économique sera refoulé à la place qui lui revient : à l’arrière-plan. »
Houellebecq est un positiviste, un disciple d’Auguste Comte. À ce titre, il a une dent contre les pseudo-sciences. Au micro de Thierry Ardisson qui lui demande : « C’est la fin du monde, s’il y avait une seule idée à sauver laquelle ce serait pour vous ? » Houellebecq lui répond : « ça va être chiant mais c’est l’idée de la preuve mathématique. » Ce qui est assez significatif. Il a montré son attachement à cette idée en s’en prenant à la psychanalyse, qui est, selon lui, une discipline dénuée de « base théorique ». Toutefois l’économie reste sa cible favorite. Bernard Maris exprime avec clarté ce scepticisme concernant cette « science » : « En quoi une discipline qui ne parvient pas à faire des pronostics vérifiables pouvait-elle être considérée comme une science ? »
Au-delà du statut épistémologique douteux des sciences économiques, l’économisme est mis en cause parce que cette croyance, doctrine, ce supplice de Tantale systématisé, que sais-je, exerce une influence délétère sur le corps social : « En France, écrit Bernard Maris, le décret d’Allarde et la loi Le Chapelier abolirent les corporations et les corps intermédiaires, de sorte que, disait le législateur, il n’est permis à personne de séparer les citoyens de la chose publique par un esprit de coopération. En haut l’État, en bas une poussière d’individus. Entre les deux : l’économie. »
Cet essai de Bernard Maris est construit comme suit : chaque chapitre est dédié à l’étude d’une thématique liée à tel ou tel économiste et à la manière dont cette thématique est traitée par le romancier. Ainsi, Alfred Marshall est associé au « règne absolu des individus », Joseph Schumpeter à « l’entreprise et la destruction créatrice », John Maynard Keynes à « l’infantilisme des consommateurs », Marx et Fournier à « l’utile et l’inutile », enfin Thomas Robert Malthus au terme du capitalisme. Lecture à compléter avec l’essai de Christian Authier : Houellebecq politique.
Jean Montalte, dans la revue Eléments