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#webtube : Thierry Ardisson, cet anar de luxe dont on a toujours sous-estimé l’émouvante sensibilité artistique… Il est des paradoxes existentiels mais humains, dans la vie comme dans la mort, dont l’énigmatique signification ne peut laisser croire à de simples coïncidences. C’est le cas, précisément, de la disparition, à l’âge encore relativement jeune de 76 ans, de Thierry Ardisson, ce royaliste convaincu, décédé, comme par un ultime mais époustouflant souci d’irrévérence face au sens même de l’Histoire, un 14 juillet, jour, en France, de la fête nationale, où le peuple en liesse commémore, suite à la symbolique, quoique très concrète, prise de la Bastille, la chute de la monarchie, de droit divin de surcroît, et, à sa suite logique, la naissance, sinon de la démocratie en tant que telle, du moins de la République !
Un oxymore vivant, y compris dans la mort !
Car oui, pour qui sait lire entre les lignes du temps, ce captivant phénomène médiatique, fin et racé animal de télévision comme d’autres sont d’intenses et prodigieuses bêtes de scène, cultivait, avec une rare maestria, l’art du paradoxe comme les plus grands écrivains, non moins aguerris en matière de rhétorique, chérissent l’art de l’oxymore.
Ainsi, un dramaturge tel que l’épique Corneille aurait-il très certainement pu dire, à l’instar de l’une de ses plus belles tirades dans Le Cid, qu’Ardisson était en effet cette « obscure clarté qui tombe des étoiles ». Et le non moins classique, quoique nettement plus romantique, Gérard de Nerval de renchérir, comme il le fait effectivement dans ce magnifique poème qu’est El Desdichado, que ce même Thierry Ardisson était aussi, en matière d’oxymore toujours, le « soleil noir de la mélancolie ».
Baudelaire, Nietzsche, Freud et Lacan : un fameux carré d’as en matière de modèle de pensée
Était-ce donc pour cela, pour cet insigne motif, que ce cher défunt qu’est désormais Thierry Ardisson s’habillait toujours en noir, à l’image de l’immense Charles Baudelaire, cet autre grand conservateur politico-idéologique derrière ses vers impies devant l’Éternel, qui, ainsi tout de noir vêtu également, portait quant à lui, comme il se plaisait à le dire de lui-même, le « deuil de son époque » ?
Davantage ! Du même Ardisson, encore et toujours, un esprit éclairé aurait très probablement pu dire également ce que ce très désacralisateur philosophe que fut Nietzsche dit, autre vertigineux paradoxe, des antiques penseurs grecs en un de ses aphorismes les plus éblouissants : « Ils étaient superficiels par profondeur. »
C’est dire, là encore, si ces multiples paradoxes que le transgressif Thierry Ardisson s’amusait ainsi à cultiver à longueur d’interviews télévisées, jusqu’à souvent dérouter, et parfois même scandaliser, ses interlocuteurs cathodiques du moment, auraient pu aussi donner raison à un psychanalyste aussi averti que Jacques Lacan lorsque, pour définir l’inconscient freudien, qu’il qualifiait littéralement d’« objet petit a », il soutenait volontiers qu’il « était toujours là où on ne pensait pas qu’il était ; et jamais là, au contraire, où on croyait qu’il était » !
Libertinage érudit
Du reste, cet être éminemment cultivé que fut en vérité, par-delà ses apparences et autres mondaines futilités, Thierry Ardisson aurait sans nul doute pu être également, au sein de ce que l’on appelle l’« Âge Classique », un personnage, haut en couleur par-delà ses costumes indéfiniment sombres, issu du fascinant « libertinage érudit », comme le furent en effet des esprits aussi raffinés, et dont l’incisive plume n’avait alors d’égale que l’audace de leur pensée, tels que Pierre Gassendi, le meilleur ennemi de Descartes à son époque, ou Tristan L’Hermite, ce superbe « poète maudit » avant la lettre, sans même parler d’un Théophile de Viau, sans qui l’illustre Choderlos de Laclos, au prestigieux siècle des Lumières, n’aurait pu concevoir ses très sulfureuses Liaisons dangereuses.
Il aurait pu être également, par son esprit vif et ses saillies mordantes, qui faisaient souvent mouche par leur anticonformisme notoire, l’ami fidèle et lucide de Voltaire, lumière d’entre les Lumières, qui consacra par ailleurs, entre autres chefs-d’œuvre, un ouvrage aussi monumental qu’admirable au grand et brillant siècle de Louis XIV, ce « Roi-Soleil » qu’Ardisson, en bon royaliste qu’il était donc, vénérait par-dessus tout autre pouvoir monarchique.
L’ars moriendi* de David Bowie : le Lazarus de Blackstar, immortelle « Étoile noire »
Mais, à Dieu ne plaise, celui que Thierry Ardisson, dans ses derniers jours, plaça tout en haut de son panthéon artistique, ce fut, sans aucun doute, l’une des stars incontestées de la musique pop-rock : David Bowie en personne, dont l’une de ses ultimes compositions, portant le très emblématique titre de Lazarus (Lazare, seul homme, en dehors du Christ, à être ressuscité d’entre les morts, comme le raconte l’Évangile selon saint Jean), a été choisi précisément, par Ardisson lui-même, comme la principale bande-son de sa funèbre playlist, à entendre donc lors de ses funérailles.
Et pour cause : c’est avec ce sublime Lazarus, extrait de son ultime mais très symbolique opus Blackstar (« Étoile noire », en bon français), son propre trépas que Bowie, mort prématurément lui aussi, tout comme Ardisson, d’un cancer du foie, met dramatiquement là en scène, au sommet de sa tragique flamboyance (autre oxymore de circonstance), comme le montre son extraordinaire, à la fois poignant et intimiste, clip vidéo, ainsi que j’en ai moi-même longuement parlé en deux de mes essais, intitulés respectivement Petit Éloge de David Bowie – Le Dandy absolu (Éditions François Bourin/Les Pérégrines) et Traité de la mort sublime – L’art de mourir de Socrate à David Bowie (Éditions Alma/Le Condottiere) !
Éloge du dandysme ardissonien, cet anar de luxe : un clair-obscur en chair et en os
Ainsi, de ce dandysme noir, duquel se rapprochent, pour rester dans le registre pop-rock, un Lou Reed ou un Leonard Cohen, à ce dandysme solaire dont un David Bowie s’avère donc l’un des principaux épigones, est-ce un clair-obscur en chair et en os que Thierry Ardisson, cet anar de luxe dont on a toujours sous-estimé l’émouvante sensibilité artistique tout autant que la réelle intelligence conceptuelle, incarne, en définitive, au plus haut point. Si bien que l’on pourrait dire également de lui ce que Charles Baudelaire, à nouveau, écrivit, dans cette très riche « critique d’art » qu’est un texte tel que son Peintre de la vie moderne (1863), à propos du dandy idéal : « Le dandysme est le dernier éclat d’héroïsme dans les décadences. »
Davantage, y renchérit, quelques lignes plus loin, Baudelaire : « Le dandysme est un soleil couchant ; comme l’astre qui décline, il est superbe, sans chaleur et plein de mélancolie. » Et encore, en guise d’ultimes paroles à ce sujet : « On dirait un feu latent qui se fait deviner, qui pourrait mais qui ne veut pas rayonner. » Absolument magnifique !
La liberté de ton comme marque de fabrique : insolence intellectuelle, provocation sociale, impertinence morale
Reste à espérer que la belle et douce Audrey Crespo-Mara, que la grâce du sourire comme l’élégance des manières, par-delà même ses remarquables qualités journalistiques et vertus professionnelles, tinrent lieu d’heureux mariage avec son cher Thierry, dont le sens quasi inné de l’insolence intellectuelle se nourrissait des subtils contours de la provocation sociale tout autant que de la liberté morale, puisse surmonter au plus vite l’immense chagrin qui doit probablement l’étreindre, à défaut des bras de son amour défunt, aujourd’hui avec une telle, cruelle et douloureuse, perte humaine…
À elle donc, en particulier, toutes mes plus sincères condoléances !
Daniel Salvatore Schiffer, dans BV