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Le Point : Monsieur le président, quand je vous ai proposé cet entretien, il m’a semblé percevoir une hésitation, l’exigence d’un temps long de réflexion. Est-il difficile à un président français de parler de l’Algérie, de parler avec l’Algérie ?
Emmanuel Macron : C’est toujours difficile. C’est un champ de tiraillement, si je puis dire. Prendre la parole sur l’Algérie est potentiellement périlleux mais indispensable. Au fond, c’est difficile parce que c’est un sujet intime pour chacun. Et par cela je veux dire que c’est toujours une question intérieure pour beaucoup en France, mais aussi une question extérieure, vers l’Algérie, vers l’Histoire. Et que parler de l’Algérie c’est à la fois parler à la France et parler de son histoire, parler aux Français qui ont été militaires ou appelés du contingent, parler à celles et ceux qui sont issus de l’immigration algérienne, parler aux binationaux, aux harkis, aux rapatriés et à leurs enfants et parler à l’Algérie d’aujourd’hui. (…) Tout cela nous plonge dans une dimension qui nous dépasse. La France a colonisé l’Algérie par des choix militaires. L’acte d’une génération d’avant les colonialismes « universalistes », si je puis dire, à l’époque des luttes contre la piraterie. Ensuite, la France a colonisé d’une manière très atypique, avec une perspective d’annexion et de peuplement, agissant différemment de ce qu’elle a fait ailleurs dans d’autres territoires. (…) Du côté algérien, l’indépendance s’est faite dans la lutte contre la France, et le récit de l’Histoire n’a pas été revisité au-delà, refusant toute réflexion, tout récit différent. Côté algérien, le rapport à la France reste très traumatique. Ce trauma est perceptible, on le voit, on peut y revenir aussi longtemps qu’on veut.
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Ce qui me frappe, y compris chez les générations qui n’ont jamais vécu le fait colonial, qui sont originaires de pays où la décolonisation s’est faite presque sans conflits, c’est que la guerre d’Algérie constitue une référence du traumatisme. (…) D’abord, nous avons des millions de concitoyens qui vivent intimement la relation franco-algérienne : les Algériens vivant en France avec un titre de séjour, les binationaux, les Français issus de l’immigration ayant un parent algérien, les harkis et leurs enfants, les rapatriés et leurs familles, ceux qui se sont battus sur le sol algérien… On dépasse les 10 millions.
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J’ai donc essayé de bâtir un chemin. Et, contrairement à ce qui m’a été reproché, ce chemin n’est pas celui, caricatural, d’un mauvais film qui procéderait par des échanges d’otages et de rançons, en demandant aux Algériens de faire la même progression que nous en France. Et il ne doit pas être hypothéqué automatiquement, à chaque pas fait ici, par le geste d’un vis-à-vis de l’autre côté. Ce chemin de reconnaissance et de douleur, nous devons d’abord le commencer, l’accepter, pour nous-mêmes. Travailler sur une « mémoire juste », selon la formule de Paul Ricoeur. C’est dans cet esprit que le rapport que j’ai demandé à Benjamin Storaa été pensé. Et c’est dans cet esprit que j’ai imaginé les gestes accomplis avant ce rapport : reconnaître que l’armée française avait torturé puis exécuté Maurice Audin, reconnaître la responsabilité de la France dans la mort d’Ali Boumendjel, organiser la restitution à l’Algérie des crânes des combattants algériens, rendre hommage à toutes les victimes, des dizaines de manifestants algériens, au pont de Bezons, soixante ans après la tragédie [la répression du 17 octobre 1961, NDLR], dire que c’était là une faute inexcusable pour la République.
Pour revenir à Oran, le « One, two, three, viva l’Algérie » n’est pas un rejet mais signifie : « J’ai besoin de te dire qui je suis, d’où je viens. » L’extrême droite française est très vite allée sur le thème de l’humiliation, répétant : « Il a accepté de se faire humilier ! » Et encore une fois chacun veut retrouver le confort des positions traditionnelles. On s’est habitué, dans le malheur, à ces postures. Reste qu’il y a beaucoup de potentiel derrière ces cris, ces slogans, cette rencontre et ces réactions. Et ce potentiel est dans cette foule qui ne s’adresse pas à un colonialiste, qui le relance comme un supporteur soutient une équipe de foot. Moi, j’ai trouvé ce moment très engageant. Parce que cette foule voit aussi une autre génération.
Il faut reprendre cette histoire par son début, construire une « mémoire juste », se raconter les uns aux autres ces récits. Vous avez raison. Il y a eu par exemple des propos rapportés par un journal en France, à l’origine d’une grande polémique il y a un an, quand j’avais parlé de la rente mémorielle du régime algérien. C’est peut-être une phrase maladroite et qui a pu blesser. C’est la question de « Quand la nation algérienne est-elle née ? » qui était au centre de la réaction. Le propos a été rapporté d’une manière rapide et ce n’est pas exactement ce que j’avais dit. Mais, derrière cette tension, il y a des pistes qui s’ouvrent. Il faudrait s’interroger sur l’État-nation en dehors de l’Europe et de son histoire propre, sur ce que signifie ce concept dans d’autres pays, en Afrique, où il fait barrage au fait ethnique et religieux. Il faudrait aussi que la France et l’Algérie pensent l’histoire de l’Algérie en dehors de la colonisation, non seulement après, mais surtout avant.
Du côté algérien, la demande d’excuses sert à valider un récit national uniforme, sans travail sur soi : on pense que, si la France s’excuse, cela valide le récit national algérien dans sa totalité artificielle. Cela nous dispensera de la reconnaissance de l’Histoire dans sa complexité, ses milliers de morts entre Algériens durant cette période. La demande d’excuses à la France sert parfois à se dérober à la vérité et arbitre faussement l’Histoire. Vous, vous pouvez le dire ainsi, mais pas moi. Il y a eu une guerre. Excuses ou pas excuses, cela ne répare rien. Il faut revenir au fait générateur, à l’Histoire, la qualifier. Vous, vous pouvez le dire ainsi, mais pas moi. Il y a eu une guerre. Excuses ou pas excuses, cela ne répare rien. Il faut revenir au fait générateur, à l’Histoire, la qualifier.
Le Point : Comment trouver l’équilibre entre le besoin des Français qui font le lien entre insécurité et immigration, qui veulent une France qui se referme, et la nécessité pour la France de garder vive la francophonie, de ne pas perdre le soutien des élites du Sud, leur marché, leurs apports ? Je veux dire : comment restreindre les visas et garder de l’influence ?
E. Macron : Il y a un problème de délinquance qui est lié à une immigration mal maîtrisée à nos frontières et dans la répartition sur notre sol. La France a toujours été une terre d’immigration et nous en avons besoin. Mais les migrations se sont accélérées ces dernières années du fait de la pression sur l’Europe venue du Sud et de l’Est, liée aussi aux flux secondaires au sein de l’Europe. Ce phénomène est lié aux crises et aux guerres au Proche et au Moyen-Orient et dans la Corne de l’Afrique, mais aussi au manque d’opportunités économiques dans nombre de pays en développement. La solution passe d’abord par la coopération responsable avec les pays d’origine et de transit, et c’est pour cela que nous avons augmenté de manière inédite l’aide publique au développement. C’est pour cela, aussi, qu’il faut structurer un dialogue politique, développer l’investissement solidaire, permettre la mobilité des talents par une réforme de notre politique de visas que nous allons lancer, mais la solution passe également par des coopérations avec les pays d’origine pour lutter contre l’immigration illégale, démanteler les réseaux de passeurs et reprendre les individus qui doivent l’être.
Merci à Lionel