Après le départ du président Aoun, le Liban une nouvelle fois à la croisée des chemins

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Le général Michel Aoun, 89 ans, vient de quitter la présidence de la République du Liban. Il doit normalement être remplacé par un chrétien maronite. C’est le jeu curieux du confessionnalisme libanais qui, sur la base d’un recensement presque centenaire, attribue les postes à responsabilité en fonction de la religion. On n’ose pas remettre en question cette répartition à l’amiable au pays du Cèdre, probablement parce que le pays ne survivrait pas à un énième séisme politique. Les équilibres démographiques ont changé : comme chez nous, les chrétiens n’ont plus d’enfants, les musulmans en ont beaucoup, et s’ajoute à cela la question des réfugiés, dont les camps (palestiniens ou syriens) sont des zones de non-droit dans lesquelles on naît, on vit et on meurt sans beaucoup de perspectives de sortie. Cela ne vous rappelle rien ? Poursuivons.

Aoun, officier d’artillerie francophile, avait défendu le palais présidentiel contre les Syriens lors de la guerre de 1982, puis s’était opposé à Samir Geagea, un autre chef de guerre chrétien, à la fin des années 80. À la fois commandant en chef loyal et diviseur du camp maronite, il incarnait à lui seul les ambiguïtés du jeu politique libanais. Exfiltré en France par la DGSE, puis confortablement exilé de villa marseillaise en appartement parisien, Michel Aoun revint au Liban en 2005 sous les vivats, après que l’assassinat de Rafic Hariri eut rebattu les cartes. Son parti, le Courant patriotique libre (CPL), lancé et piloté à distance pendant ses quatorze années d’exil, n’attendait que lui, car l’aounisme est, en somme, une forme levantine de populisme militaire.

Aoun réalisa l’union contre nature des partis chrétiens et du puissant Hezbollah chiite, sur le dos du camp sunnite, qu’il accusait de tous les maux. Après une crise politique, une de plus, le général fut élu président en 2016. Déjà très âgé, il dut gérer le Covid, les crises financières, l’incendie du port de Beyrouth et, surtout, le retour d’une instabilité politique structurelle dans laquelle il portait une part de responsabilité. On dit beaucoup que son gendre, Gebran Bassil, le coupa progressivement de ses soutiens et contribua à l’atmosphère corrompue qui devait marquer sa fin de règne. Cela explique peut-être le résultat des dernières élections législatives, en mai 2022, qui ont vu les Forces libanaises de son vieil ennemi Samir Geagea redevenir le premier parti maronite du pays, au détriment du CPL.

Dans les années 50, le Liban était la Suisse du Proche-Orient. Sa diaspora puissante, sa culture millénaire, sa grandeur historique et architecturale en faisaient un cas à part, coincé entre les dictatures, les pétromonarchies et Israël. Son système confessionnel lui offrait un fragile équilibre, tandis que ses frontières, quoique contestées par la Syrie, tenaient à peu près la route aux yeux du monde. Aujourd’hui, la livre libanaise ne vaut plus rien, les banques sont braquées par des usagers qui veulent simplement récupérer leur argent, les médicaments les plus élémentaires manquent. Le clivage entre riches et pauvres, qui a toujours été visible, devient obscène. La diaspora est toujours fidèle (on peut citer la générosité de Rodolphe Saadé, patron de CMA CGM et cinquième fortune de France), mais le pays n’est plus que l’ombre de lui-même.

Preuve de cette déliquescence, qui semble ne pas pouvoir s’arrêter : la France s’est permis une déclaration paternaliste complètement hors de propos, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Catherine Colonna. « Le Liban traverse une crise économique, financière, sociale grave et inédite, qui requiert le bon et plein fonctionnement de toutes ses institutions (présidence, gouvernement, Parlement) pour prendre les mesures qui s’imposent pour redresser le pays et améliorer urgemment la situation des Libanais », dit le Quai d’Orsay, qui appelle les acteurs politiques à être « à la hauteur du moment ». La France, qui est elle-même en train de devenir Haïti, parle au pays qui a inventé l’alphabet sur un ton méprisant et comminatoire. Le gouvernement ne se serait pas permis cette familiarité avec un pays moins chargé d’Histoire mais plus lourd en capitaux. Seule la politesse de nos amis libanais, et le respect qu’ils conservent pour ce que fut notre pays, les empêchent de nous répondre vertement. Et puis, ils ont peut-être autre chose à faire…

En tous les cas, voici le Liban une nouvelle fois à la croisée des chemins. Depuis les années 70, il n’a connu que la crise, la guerre, le sang. Pas un gouvernement, pas un parti qui soit capable d’union nationale et de dignité dans la durée. Bon courage à nos frères d’Orient, que nous avons fait serment de protéger depuis 1535, mais qui nous renvoient aujourd’hui à notre propre incapacité.

Arnaud Florac, BV

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