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Au début était un système énergétique français performant
Il y a quelques années, la France disposait d’une énergie stable, abondante, irriguant toute son économie. Notre système énergétique avait été pensé par des personnes brillantes prenant en compte le long terme, avait été mis en œuvre par la planification pour l’électricité, par des accords, des contrats à long terme avec différents pays pour le gaz. Les mécanismes de marché étaient utilisés pour le charbon et le pétrole puisque ces matières sont facilement stockables et transportables.
Le plan Mesmer permit, en vingt ans, de passer d’une électricité polluante produite en grande partie avec du fioul et du charbon à une électricité nucléaire propre, peu chère, donnant à la France une autonomie stratégique et, incidemment, sans émission de gaz carbonique ! La fin de la planification imposée par la libre concurrence de l’Union européenne conjuguée à l’idéologie hors-sol d’une écologie « de gauche » omniprésente nous a, depuis, empêchés de réaliser de telles prouesses alors même que « la maison brûle », comme le disait Jacques Chirac il y vingt ans. « Nous regardons ailleurs » car nous n’avons plus la possibilité de réaliser de grands projets collectifs, nous étant interdit d’utiliser toute la puissance de l’État stratège gaulliste ou colbertiste. Passons. Notre parc nucléaire fut un peu surdimensionné pour exporter de l’électricité tout en permettant d’en disposer dans les grands froids d’hiver, dans les périodes de consommation très élevée.
Comment l’Union européenne a dynamité notre système énergétique
Depuis est passée l’Union européenne, sa « concurrence libre et non faussée », c’est-à-dire une idéologie du tout marché en tout domaine, sans tenir compte des réalités. Nous ne sommes pas du tout des ennemis de l’économie de marché, mais celle-ci n’est pas toujours la plus efficace dans tous les secteurs, dans tous les pays. En un mot, il est idiot de définir le marché comme une nouvelle religion, « le grand sujet » visant à remplacer Dieu, le roi ou la nation.
Les secteurs du gaz et de l’électricité furent libéralisés. GDF fut privatisé et devint Engie. Les contrats de gaz à long terme furent mal vus par la Commission européenne qui demanda leur réduction et même leur suppression à l’avenir. Ceux-ci garantissent pourtant l’approvisionnement le plus stable au pays et à moindre prix pour un produit, le gaz, difficile à stocker et à transporter. Bien sûr, les tarifs réglementés du gaz furent supprimés pour les entreprises avant de l’être, dans un futur proche, pour les particuliers (juillet 2023). Conséquence : les entreprises sont aujourd’hui les victimes des fluctuations de prix folles du gaz (multiplication par vingt en deux ans des prix de marché).
EDF fut mis en Bourse et des concurrents privés, des coquilles vides ne produisant rien mais saignant la bête, furent créés ex nihilo. En 2011, sous le mandat de Nicolas Sarkozy, fut imposé à EDF le tarif ARENH : l’entreprise doit vendre avec de grosses pertes plus de 20 % de son électricité nucléaire à ses « concurrents » privés, ce qui, d’une pierre trois coups, sape son chiffre d’affaires, sa rentabilité et son avenir économique. L’objectif de la Commission européenne était de casser un EDF trop solide, trop efficace qui bloquait l’arrivée du marché européen de l’électricité en France et en Europe. « Les partis de l’arc républicain » français acceptèrent sans broncher cette destruction d’un bien commun vital. Un marché européen de l’électricité fut donc créé, formidable vecteur d’exagération des fluctuations de prix. Nous apprenons par la Commission de régulation de l’électricité qu’un concurrent d’EDF est fortement soupçonné d’acheter à quatre centimes le kWh de l’électricité à EDF et d’en revendre une partie au prix du marché, soit dix fois plus cher aujourd’hui. Le tarif réglementé fut supprimé pour les entreprises à l’exception des très petites (moins de dix salariés). Les autres sont donc victimes des fluctuations folles des prix de l’électricité, n’ayant plus de tarifs fixés à l’avance.
Qui plus est, Emmanuel Macron décida, en 2020, de baisser au profit des énergies renouvelables la production nucléaire en France avec la fermeture des deux réacteurs de Fessenheim suivie, d’ici 2035, par la fermeture de douze autres centrales. Étonnant pour un pays qui veut se passer d’énergies fossiles et mise à fond sur le tout électrique dans l’automobile. Doublement étonnant quand on sait qu’alimenter en électricité un pays avec des éoliennes et des panneaux solaires nécessite de basculer sur des centrales au charbon ou au gaz la moitié du temps, quand il n’y a pas de vent ni de soleil. Saignée à blanc depuis longtemps, EDF eut d’évidentes difficultés à recruter pour son secteur nucléaire et, d’ailleurs, pourquoi et comment recruter dans un secteur en attrition et dans une entreprise en difficulté économique ? Tout cela affecta la qualité de la maintenance des centrales, plus difficile dans ces conditions. Comble de malchance, à cause d’un problème de corrosion d’un circuit de secours, douze autres centrales furent mises à l’arrêt. Voici comment la France se retrouve avec la moitié de son parc nucléaire à l’arrêt en pleine crise énergétique. On remarquera que nombre de pays européens ont suivi le mouvement, fermant leurs centrales nucléaires, au charbon quand ils en avaient, remplacées par des éoliennes, des panneaux solaires et, quand on le pouvait, par des centrales au gaz. Les capacités d’énergie pilotable sont donc au plus bas. Chaque pays compte sur son voisin pour faire face à l’intermittence des énergies renouvelables, un chef-d’œuvre d’irresponsabilité orchestré par l’Union européenne, influencée comme toujours par l’Allemagne. Pour garder son équilibre en matière d’électricité malgré un foisonnement d’intermittence, notre voisin germanique tire ainsi alternativement sur l’électricité au charbon polonaise et sur l’électricité nucléaire française. Bref, le système électrique est on ne peut plus fragile dans les pays européens.
L’Europe sous influence américaine, les terribles conséquences.
C’est à ce moment précis que, pour répliquer à l’invasion russe de l’Ukraine, l’Union européenne et les chefs d’État européens, sous influence américaine, décidèrent de se passer d’un tiers de leur approvisionnement en énergie fossile : pétrole, gaz et charbon. L’embargo sur le pétrole et le charbon fut « mis en application » par les Européens, les Russes les prenant de vitesse sur l’embargo décidé sur le gaz. Les prix du pétrole et du charbon explosèrent mais leur facilité de transport et de stockage nous permirent d’en acheter ailleurs, par exemple du pétrole russe raffiné passant par l’Inde ! Il faut bien rester souple dans les questions d’ordre moral. Pour le gaz et l’électricité, c’est une tout autre affaire. Le gaz est difficile à transporter, si ce n’est via des pipelines dont la durée de construction se compte en années. L’autre option est de passer par des terminaux de liquéfaction et des bateaux méthaniers, mais là aussi, la durée de construction se compte en années. Et n’oublions pas la difficulté pour les pays producteurs de gaz d’augmenter massivement et rapidement leur production pour alimenter l’Europe entière !
Il est donc à craindre que l’Europe manque de gaz pour trois à cinq ans. Le gaz représente 20 % de l’énergie européenne et permet de produire 20 % de son électricité. L’approvisionnement de l’Union européenne en gaz provient à 40 % de Russie. C’est donc un maximum de 8 % de l’électricité et de l’énergie en général qui manquera en Europe cet hiver.
Et la France, dans tout ça ?
Si la France ne dépend plus que de 17 % de la Russie pour son approvisionnement en gaz, Emmanuel Macron a décidé d’en donner à l’Allemagne, dépendante à 55 % de la Russie, en échange, paraît-il, d’électricité, qui risque de manquer aussi à notre voisin germanique. Par ailleurs, Macron a fermé Fessenheim et il manquera donc 2,5 % d’électricité française de plus cet hiver. Au prix de l’électricité de la fin de l’été, cela représente 8 milliards d’euros par an, soit environ trois fois le coût de sa construction. Comme le secteur nucléaire a subi désintérêt et désinvestissement, que la maintenance « a été faite avec les moyens du bord », la moitié des réacteurs restants sont à l’arrêt. Il semble très improbable qu’EDF réussisse à remettre tous les réacteurs nucléaires en ordre de marche pour cet hiver. Imaginons (hypothèse raisonnable) qu’EDF réussisse à faire fonctionner les trois quarts de ses réacteurs nucléaires cet hiver. La France achète depuis quelques années de l’électricité aux autres pays européens les jours de pointe. La France devrait donc en acheter beaucoup plus, parfois un quart de notre production nucléaire habituelle. Comme les autres pays produisent plus de 20 % de leur électricité avec du gaz qui risque fort de manquer, ils ne pourront probablement pas nous vendre de l’électricité ! Les coupures de courant, peut-être pour plusieurs jours, sont donc quasiment inévitables. Ce qui signifie soit des arrêts d’entreprises et donc leur mise en danger, soit des coupures pour les ménages et l’impossibilité de se chauffer pour certains, de cuisiner pour d’autres, d’accéder à Internet, à la télévision ou même de lire pour tous. La France ne sera pas seule dans ces difficultés, les autres pays étant souvent très dépendants du gaz pour l’électricité et l’énergie. Il n’y a donc rien d’étonnant dans le fait que les prix de marché du gaz et de l’électricité aient été multipliés respectivement par des facteurs vingt et douze, même si la sortie du marché européen de l’électricité aurait permis de réguler ces prix et d’éviter une telle dérive.
Pénurie, inflation et cherté de l’énergie sont donc lourdement probables. L’économie, c’est de l’énergie transformée. Le scénario de la tempête parfaite point à l’horizon. Les prémices s’annoncent déjà difficiles pour notre tissu industriel. Arc, Ascométal et Duralex ont annoncé fermer « temporairement » leurs usines pour cause de prix de l’énergie trop élevés : ils perdent un argent fou en restant ouverts ! Le président de Système U a annoncé que sa facture d’électricité serait multipliée par deux l’année prochaine. Pour des entreprises moyennes comme les fonderies Dechaumont, c’est plutôt une multiplication par quatre à six qui est attendue, soit la ruine pour cette entreprise énergivore si la situation perdurait. Dès aujourd’hui, la production d’aluminium et de zinc en Europe a déjà été réduite de moitié. Arcelor a réduit la production de sept sites en France. Alors qu’ils avaient déjà dû réduire fortement leur activité, les producteurs de zinc, de cuivre, de nickel ou de silicium se disent menacés dans leur existence même ! Les fabricants d’engrais ne peuvent plus produire à des prix raisonnables, le gaz étant trop cher. Quid de notre alimentation, l’année prochaine ? Si l’énergie russe ne coule pas rapidement vers l’Europe, c’est notre tissu industriel et celui de l’Europe qui seront partiellement coulés. Et ce ne seront pas les start-up qui nous sauveront la mise. Si la situation peut un peu s’améliorer, le problème pourrait durer un peu moins de cinq ans. Et ces cinq ans passés, l’énergie sera plus chère en Europe qu’en Asie car elle viendra de plus loin et l’Europe n’aura pas tous les choix ouverts. C’est donc un avenir de destruction de notre tissu économique et social et d’inflation qui nous attend si la situation n’est pas reprise en main. Pour l’heure, nous assistons impuissants à une forme de suicide européen. Rappelons, enfin, que nos sanctions morales entraînant une explosion des prix de l’énergie partout dans le monde touchent durement l’économie et la vie quotidienne déjà fragile des habitants des pays pauvres.
Comment en sommes-nous arrivés là ?
Au risque de choquer les belles âmes, il y a une forme de crétinisation de la vie publique qui s’explique notamment par l’abus de communication, celle-ci ayant progressivement remplacé l’analyse rationnelle. La Commission européenne proposant, dans les faits pensant pour les pays dans des domaines de plus en plus nombreux, les partis politiques européistes n’ont depuis des années qu’à utiliser cette feuille de route et la répéter comme des perroquets en changeant légèrement l’argumentation. C‘est, d’ailleurs, conseillé si vous ne voulez pas passer pour un méchant politique nationaliste. Quand notre Président va à Bruxelles, il est par ailleurs confronté à la Commission européenne et à 26 autres pays aux intérêts différents. Il est alors difficile de dire non et d’être le mouton noir qui bloque la décision européenne. Voici comment de plus en plus de décisions contraires à l’intérêt du pays passent sans difficulté particulière. L’alignement sur l’intérêt américain de l’Union européenne est une autre pièce de ce puzzle. Pour finir, les grands partis d’opposition, guère courageux et imaginatifs, tenus par la trouille de la pensée unique, ne proposent pas grand-chose, si ce n’est de régler des problèmes annexes et non la partie principale du problème. On entend donc presque uniquement : « Occupons-nous du pouvoir d’achat des Français et tout sera résolu » ou « c’est la faute de Macron et des socialistes, ils ont amoindri la force de notre système électrique nucléaire ». Ces grands partis d’opposition sont bien majoritaires à l’Assemblée nationale mais presque aucune voix ne s’élève pour demander rapidement une session extraordinaire sur le problème vital que nous posent ces sanctions antirusses. On devrait plutôt dire anti-européennes ou antifrançaises, puisque la Russie sera bénéficiaire de ces sanctions à hauteur de 100 milliards d’euros de recettes supplémentaires, cette année, quand la France s’appauvrira. Et sur le moyen terme, ses débouchés énergétiques sont garantis en Asie. Il faudra pourtant choisir entre deux alternatives : continuer ainsi et avoir une guerre longue au cœur de l’Europe, voir l’Europe et ses peuples subir un profond déclassement économique et social, ou bien chercher la paix sur le continent, négocier et, bien sûr, arrêter ou, au minimum, adoucir ces « sanctions ». Même lorsque l’on n’en est pas responsable, la guerre n’amène jamais que la ruine économique dans ses bagages.
Ce fatras d’erreurs de toutes sortes nous laisse parfois penser que nous vivons en idiocratie. Quoi qu’il arrive, il est inimaginable que les Français soient sacrifiés sur l’autel de l’Absurdie (ou d’une défense d’une hégémonie américaine déclinante). Il ne s’agit donc plus d’un problème économique mais d’un problème politique. Le pire n’est jamais certain, mais il est inconcevable de ne pas s’en prémunir. En attendant, préparons-nous à affronter la tempête, à moins qu’un miracle ne l’arrête avant de toucher nos côtes.
Philippe Murer, BV
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