. Révolte agricole : après l’Allemagne, la France ?

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++ WEBTUBE : En Allemagne, c’est par milliers que se comptent ces tracteurs qui, chaque jour depuis le début de la semaine, convergent vers les grandes villes allemandes, bloquant les accès routiers et les portes des agglomérations dans un pays déjà paralysé par une grève ferrovière. Vu de France, et selon 20 Minutes, ce n’est qu’un mouvement « abondamment relayé dans les sphères complotistes et souverainistes » générant une « avalanche de posts dans les sphères complotistes et souverainistes » puisque, d’ailleurs, « l’extrême droite allemande s’est engouffrée dans le dossier ». CQFD.

Les raisons d’une grogne… contagieuse ?

Un moyen expéditif ultra-efficace pour disqualifier d’office une grogne qui commence à essaimer… en France. Si les revendications immédiates du monde agricole allemand ne sont pas précisément les mêmes que chez nous – le gouvernement d’outre-Rhin projette de supprimer l’avantage fiscal sur le diesel -, ici comme là bas, les racines du mal-être sont les mêmes. Né de l’abandon d’une fraction de la population qui peine à vivre des métiers de la terre par une oligarchie de décideurs politiques confortablement installés à Bruxelles. Deux mondes que tout sépare.

Limites de la liberté d’expression contre climat

Pour en parler, nous avons interrogé Sylvie Brunel, qui est géographe, enseignante à la Sorbonne et docteur en économie. L’ostracisation pour crime de complotisme, elle connaît. Pour avoir, en juin 2022, sur un plateau télé, osé faire remarquer que les températures caniculaires qui touchaient alors la France sont « le quotidien quand vous vivez à Dakar » et publié, dans Le Monde, une tribune transgressive – « Le changement climatique n’est pas forcément une mauvaise nouvelle » (2019) -, Sylvie Brunel est définitivement estampillée « figure climato-sceptique médiatique » et logiquement boudée par les médias. Sa fiche Wikipédia squattée par des militants de la cause climatique est un réquisitoire en règle.

À ce sujet — La révolte gronde : des agriculteurs retournent les panneaux des communes

Cette « grande connaisseuse de l’Afrique » connaît pourtant son sujet : spécialiste des questions de développement et de famine, elle a dirigé l’association Action contre la faim et publié bon nombre d’ouvrages aux titres évocateurs tels que (entre autres) Pourquoi les paysans vont sauver le monde ou Cessons de maltraiter ceux qui nous font vivre (aux Éditions Buchet-Chastel) et prépare un nouveau livre à paraître en février : Sa majesté le maïs. Elle nous explique les raisons de cette crise profonde de l’agriculture : « L’Europe a décidé de devenir plus verte que verte et, donc, de mettre en œuvre des normes écologiques extrêmement exigeantes sur la neutralité carbone, le classement des zones en biodiversité, la limitation de l’usage des produits de traitement et des engrais. Des objectifs transposés par la France de manière très exigeante qui impactent, dans les différents pays, les agriculteurs qui ne sont ni des décorateurs de la nature ni des jardiniers mais des chefs d’exploitation. Toutes ces normes prises par des gens qui ne connaissent rien au problème rendent leur travail d’autant plus difficile que les contrôles se multiplient. »

Des décisions prises à Paris ou Bruxelles sans tenir compte des spécificités des exploitations

D’où cette distorsion profonde entre une intelligentsia qui ne rêve que micro-exploitations, circuits courts et produits d’excellence, et la réalité économique quotidienne que vivent les agriculteurs pris en étau entre des normes qui ne cessent de changer et des Français qui se serrent la ceinture et cherchent à se nourrir à des prix raisonnables. Sylvie Brunel n’y va pas par quatre chemins : faute de pouvoir satisfaire les rêves des intellos derrière leurs ordinateurs, « nos agriculteurs sont victimes d’un véritable “racisme de classe” et passent pour des gros beaufs pollueurs ».

La profession est déjà démographiquement menacée de disparition car exercée par des individus qui, pour la moitié d’entre eux, ont plus de 55 ans. « Pour 20.000 départs chaque année, on compte 13.000 installations. Les jeunes qui s’installent sont souvent formatés par le discours vertueux des micro-modèles ; ils partent sur des niches comme le petit maraîchage mais, malheureusement, abandonnent très vite lorsqu’ils découvrent la pénibilité, les parasites, etc. », précise la géographe.

Nos agriculteurs sont pourtant bel et bien au cœur d’un enjeu politique majeur : l’alimentation des Français et du reste du monde. Songeons, en passant, aux conséquences en termes d’immigration d’un Maghreb que nos paysans ne pourraient plus ravitailler.

Ces dernières semaines, beaucoup d’entre nous contemplaient, goguenards, sans trop chercher à comprendre, ces panneaux retournés de nos villages : « On marche sur la tête. » Une gentille jacquerie, comparé à la révolte allemande. Le meilleur reste sans doute à venir.

Sabine de Villeroché, Boulevard Voltaire

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