. Notre-Dame de Paris, rescapée de l’Histoire

Spread the love

Articles     : Jan. 2024 – Dec. 2023Nov. 2023Oct. 2023 – Facebook : https://www.facebook.com/profile.php?id=100069673161887 Twitter : https://twitter.com/OrtfNews

++ WEBTUBE : Les collections de la Cité de l’architecture réunissent des moulages grandeur nature de portails de cathédrales, d’ensembles architecturaux sculptés divers, religieux ou civils. Un voyage dans le temps, du XIIe au XVIe siècle, et à travers la France, de Chartres à Vézelay, de Moissac à Clermont-Ferrand. Dans ce parcours s’inscrit actuellement une exposition sur Notre-Dame de Paris, « des bâtisseurs aux restaurateurs ». Le saviez-vous ? Le restaurateur emblématique de Notre-Dame, Viollet-le-Duc, est à l’origine du Musée de sculpture comparée, devenu le Musée des monuments français et, enfin, cette Cité de l’architecture. Que de grandeurs et de vicissitudes a connues Notre-Dame depuis ses premières pierres, dans la seconde moitié du XIIe siècle, quand l’évêque Maurice de Sully lance le chantier ! Au siècle suivant, les architectes Jean de Chelles puis Pierre de Montreuil sont à la manœuvre. Deux siècles de construction dessinent le chef-d’œuvre gothique.

Maurice Ouradou. Relevé de détails de peintures murales de la chapelle Saint-Vincent-de-Paul, vers 1870 © Musée d’Orsay / Dist. RMN – Grand Palais / Patrice Schmidt

À l’heure baroque, Notre-Dame est opérée du chœur par Robert de Cotte de 1708 à 1725. Puis viennent des heures sombres. Vandalisme ecclésiastique, d’abord : en 1756, les chanoines badigeonnent les murs en blanc et remplacent un certain nombre de vitraux par du verre blanc. Vandalisme révolutionnaire, ensuite : en 1793, le culte catholique est interdit, la cathédrale pillée. Elle devient Temple de la Raison, entrepôt des « vins de la République ». Menaçant ruine faute d’entretien, la flèche du XIIIe siècle est démantelée. La révolution de 1830 martyrise encore Notre-Dame, au point que les autorités envisagent… de la raser.

Mais paraît le roman de Victor Hugo, dans un contexte d’intérêt grandissant pour le patrimoine médiéval. On décide de restaurer Notre-Dame. Le projet d’Eugène Viollet-le-Duc et Jean-Baptiste Lassus l’emporte. Lassus meurt en 1857, laissant les mains libres à Viollet-le-Duc qui modifie le projet de flèche. De sobre qu’elle était, elle s’orne, se pare de douze apôtres et quatre évangélistes. Quelques jours avant l’incendie du 15 avril 2019, ce drame dont tout Français reste meurtri, les sculptures en question avaient été déposées pour restauration. Elles figurent dans le parcours de l’exposition, à hauteur d’yeux, avant de retrouver, l’année prochaine, les hauteurs in situ. Saint Thomas, patron des architectes, a les traits de Viollet-le-Duc.

Vue de l’exposition: deux des sculptures d’apôtres (XIXe siècle), restaurées. © Cité de l’architecture et du patrimoine/Franck Renoir

Qui aurait-on mis au pied de la flèche en verre dont certains ont rêvé ? Hidalgo en gargouille et Macron en diablotin agité ? Le président de la République voulait « un geste contemporain ». Il y avait quelque chose de profondément intrusif à vouloir une flèche en verre ou des jardins suspendus sur les toits… comme si Notre-Dame était une nouvelle Babylone – et comme si nous n’avions plus ni bois, ni pierre, ni artisans capables de les ouvrager. Les autorités ont finalement reculé.

À ce sujet — Incendie de Notre-Dame : notre reporter témoigne

L’exposition fait d’ailleurs la part belle à la restauration telle qu’elle se pratique aujourd’hui, beaucoup moins « invasive », pour employer un terme chirurgical, qu’au XIXe siècle. Elle fait honneur aux descendants des compagnons que sont les restaurateurs de décors peints, de sculptures, les ferronniers, doreurs, ébénistes, maçons, charpentiers, couvreurs et ornemanistes, facteurs d’orgues… Sur le temps long, c’est le génie artisanal gaulois qui continue de s’exprimer. Théophile Gautier l’a dit avant nous, en s’adressant à la cathédrale : « Comme nos monuments à tournure bourgeoise/Se font petits devant ta majesté gauloise… »

Eugène Viollet-le-Duc. Projet de la flèche, élévation partielle, vers 1857. © Médiathèque du patrimoine et de la photographie / Dist. RMN – Grand Palais

Mais – perseverare diabolicum – Macron n’a pu s’empêcher de revenir à la charge à propos des vitraux, en voulant remplacer des vitraux XIXe qui avaient survécu à l’incendie – ah, la piété patrimoniale ne l’empêche pas de dormir ! Pour ceux qui n’ont pas encore signé la pétition de La Tribune de l’Art, il est encore temps. Les 126.000 signatures sont d’ores et déjà dépassées.

Introduire des éléments modernes au détriment de l’ancien, ce serait faire du Viollet-le-Duc sans le savoir, dans ce que sa philosophie avait de plus discutable : « Restaurer un édificeécrivait-ilce n’est pas l’entretenir, le réparer ou le refaire, c’est le rétablir dans un état complet qui peut n’avoir jamais existé à un moment donné. » Nous pensons, au contraire, qu’une seule attitude est légitime vis-à-vis de Notre-Dame la rescapée : la réparer au plus près de ce qu’elle était. Où faut-il faire assaut de modernité, dans Notre-Dame ? Dans le système de protection et d’alarme incendie. Pour le reste, soyons modestes, comme le suggérait Gérard de Nerval : « Notre-Dame est bien vieille : on la verra peut-être / Enterrer cependant Paris qu’elle a vu naître. »

« Notre-Dame de Paris. Des bâtisseurs aux restaurateurs. »

Jusqu’au 2 juin 2024

Cité de l’architecture et du patrimoine, 1, place du Trocadéro et du 11 Novembre – 75116 Paris. La Cité est ouverte tous les jours de 11h à 19h (sauf le mardi). Nocturne le jeudi jusqu’à 21h.

Samuel Martin, Boulevard Voltaire

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *