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++ WEBTUBE : Henri Guaino fut l’un des artisans, en 1992, de la campagne du « non » au traité de Maastricht aux côtés de Charles Pasqua et de Philippe Séguin, et l’inspirateur de la campagne de Jacques Chirac sur la fracture sociale en 1995. Il a été commissaire général au Plan, conseiller spécial de Nicolas Sarkozy à l’Élysée et député.Il vient de rédiger un livre intitulé A la septième fois, les murailles tombèrent. Paru aux éditions du Rocher, et présenté ainsi (voir article ci-dessous)
L’article :
Henri Guaino fut l’un des artisans, en 1992, de la campagne du « non » au traité de Maastricht aux côtés de Charles Pasqua et de Philippe Séguin, et l’inspirateur de la campagne de Jacques Chirac sur la fracture sociale en 1995. Il a été commissaire général au Plan, conseiller spécial de Nicolas Sarkozy à l’Élysée et député.
Il vient de rédiger un livre intitulé A la septième fois, les murailles tombèrent. Paru aux éditions du Rocher, et présenté ainsi :
« Nous pensons et agissons collectivement comme si notre société était invulnérable. Au cours des dernières décennies, nous avons affronté bien des crises et nous nous sommes fait peur si souvent‚ sans que cela ait eu l’air d’avoir des conséquences durables et profondes. Alors nous avons fini par nous convaincre que les effondrements, qui ont plongé dans le malheur les générations d’avant, ne pouvaient plus nous arriver ; que nos démocraties étaient si parfaites, notre science tellement avancée, que la machinerie si complexe, si sophistiquée, si bien agencée, de nos sociétés modernes bureaucratisées, judiciarisées, numérisées, dotées de tant de garde-fous, ne pouvait plus se dérégler et sombrer dans le chaos où se sont perdues avant nous tant de grandes civilisations jusqu’au XXe siècle. Nous restons persuadés que nous sommes tellement évolués, éduqués, civilisés que nous avons édifié en nous-mêmes des digues si solides‚ que l’éternelle sauvagerie résidant en l’homme ne viendra plus jamais nous entraîner sur des pentes fatales. Alors‚ nous avons baissé la garde devant les menaces, qui‚ depuis toujours‚ pèsent sur l’humanité et viennent de notre nature même‚ et de nos instincts qui ne changent pas. L’humanité, celle des autres et la nôtre, ne commence pas par nous. »
Les fondations des murailles institutionnelles, culturelles, morales, juridiques, que nos sociétés ont élevées‚ ne sont-elles pas aussi fragiles que celles des murailles de Jéricho ? Et ne nous comportons-nous pas comme ses habitants et leur roi qui, à l’abri derrière leurs murs d’apparence inébranlables, riaient des trompettes de Josué ? Six jours de suite, elles sonnèrent sans ébranler les murailles. Le septième jour, les murailles tombèrent. Et si nous étions déjà au soir du sixième jour ?
Nous avons interrogé Henri Guaino, pour évoquer son ouvrage, lui qui a été impliqué au premier plan dans la vie politique et qui témoigne ici de la déliquescence totale, et peut être fatale, de notre société.
Breizh-info.com : Tout d’abord, que devenez-vous ?
Henri Guaino : Je fais un grand effort sur moi-même pour ne pas dire « à quoi bon » devant les désordres du monde et la violence qui monte de partout après tant d’efforts faits en vain pour éveiller les consciences.
Breizh-info.com : Dans quelle mesure votre expérience en tant que conseiller de Nicolas Sarkozy a-t-elle influencé les idées ou les récits présentés dans ce livre ?
Henri Guaino : C’est tout ce que j’ai pu observer et même vivre, qui n’a pas commencé en 2007, à l’intérieur du pouvoir et en dehors, dans la politique, dans l’Etat et dans ce que l’on appelle « la société civile », qui a nourri ce livre qui est un diagnostic sur ce que nous n’aurions pas dû faire, que nous ne devrions plus faire et que nous continuons à faire. Je dis « nous » parce que, comme toujours, le malaise dans la civilisation procède d’une responsabilité collective, celle des responsables politiques et celle due à l’indifférence des citoyens, à notre penchant humain, trop humain, à ne pas vouloir voir ce qui nous dérange, à occulter les signes avant-coureurs des catastrophes que bien souvent nous déclenchons nous-mêmes. « De loin, le Mont Blanc, nous le voyons, à son pied, nous ne le voyons pas », dit Michelet à propos de la Révolution que plus personne ne voyait venir. Penchant aggravé par cette idée ou plutôt cette croyance de plus en plus répandue, selon laquelle la nature humaine aurait changé, au point que nous serions tellement meilleurs, tellement plus intelligents que ceux qui nous ont précédés que nous ne pourrions plus commettre les mêmes fautes, les mêmes crimes et que, par conséquent, nous n’aurions plus aucune leçon à tirer du passé.
Breizh-info.com : A la septième fois, les murailles tombèrent. Pouvez vous revenir sur l’origine de votre titre ?
Henri Guaino : C’est le titre du poème que Victor Hugo consacre dans Les Châtiments à l’épisode biblique des trompettes de Jericho. Six jours durant le Roi et la population de Jericho se moquent de Josué et de ses trompettes dont ils ne peuvent pas imaginer un seul instant qu’elles puissent abattre leurs solides murailles. Le sixième jour, le Roi rit encore sur sa tour de granit. Le septième les murailles tombèrent. C’est une allégorie de ce qui nous arrive: les murailles de notre civilisation, de notre culture, de notre science, de nos institutions, de notre intelligence sont si solides qu’elles nous mettent à l’abris des malheurs du passé; tellement solides que nous ne les avons cessé de les entretenir, que tous les coups portés contre elles nous paraissaient incapables de les ébranler. « Cela ne peut plus nous arriver !» c’était devenu, c’est encore, la devise de ces dernières décennies où tout a fini par basculer. Et le Roi rit encore sur sa tour de granit. Jusqu‘à quand?
Breizh-info.com : Vous avez évoqué dans le passé que « Petit à petit, notre État s’effondre ». N’assiste-t-on pas ces dernières années à une accélération presque sidérante de l’Histoire, mais aussi de l’effondrement d’une Civilisation ?
Henri Guaino : L’effondrement de nos sociétés occidentales, de leurs formes de civilité, de la démocratie, nous en prenons le chemin avec l’irrésistible remontée de la violence qui n’en est qu’à ses débuts si nous n’arrivons pas à inverser le cours des choses. Les sociétés trop divisées finissent toujours par tenter de restaurer leur unité par la violence. J’emprunte cette phrase à René Girard. Notre civilisation s’effondrera-t-elle? Peut être, au moins temporairement. Disparaîtra-t-elle? Ce n’est pas l’issue la plus probable. Comme le dit Braudel, les civilisations sont les personnages de l’histoire qui ont la plus grande longévité. On en efface rarement l’empreinte profonde. Ne vivons-nous pas le brutal retour du refoulé de tant de grandes et vieilles civilisations que l’on croyait disparues parce que notre modernité ne s’intéressait plus à ce qui dans l’homme ne se voit pas mais joue pourtant, plus ou moins consciemment, un grand rôle dans ses comportements. Je crois que le grand problème qui est devant nous n’est pas tant le risque de la mort de notre civilisation qui en a vu d’autres, comme disait De Gaulle en parlant de la France, mais le prix de violence, de douleurs, de chaos qu’il faudra peut-être payer pour qu’elle survive. Après tout, elle a bien résisté au nazisme et au stalinisme, mais à quel prix?
Breizh-info.com : La guerre fait son retour fracassant, y compris en Europe. Pourtant, les dirigeants occidentaux semblent parfois sortis d’un épisode des Bisounours. Comment expliquez-vous une telle médiocrité du monde politique actuelle, et surtout, une telle absence de vision à long terme, absence que n’ont pas , pour ne citer qu’eux, les Chinois ou les Indiens ?
Henri Guaino : Ce n’est pas la première fois dans l’histoire. Il est vain de chercher une théorie pour expliquer pourquoi il y a des moments de ce genre. Mais le constat est exact: dans tout l’occident on peine aujourd’hui à distinguer quelques figures à la hauteur des circonstances. Une chose est sûre, aujourd’hui comme hier, les peuples ont les responsables politiques et les politiques qu’ils méritent, soit parce qu’ils les ont voulus, soit parce qu’ils ont laissé faire, soit parce qu’ils se sont désintéressés de la chose publique, jusqu’au jour où ils finissent par constater que s’ils ne s’intéressent pas à la politique, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, la politique, de toutes les façons finit par s’intéresser à eux et dans ce cas souvent pour le pire. Et là encore nous risquons de payer cher cette idée que la guerre ne pouvait plus nous arriver. Comme d’ailleurs les catastrophes financières, les pandémies, les guerres civiles, les guerres de religion… Il faut bien voir qu’à la fin de la guerre froide presque toutes les élites occidentales politiques, intellectuelles, économiques se sont ralliées à l’idéologie de la fin de l’histoire. Ce qui voulait dire que le tragique n’avait plus sa place dans la pensée occidentale. Elle a été remplacée par une sorte de manichéisme moral qui ramenait tout à l’affrontement du bien et du mal et à la bonne conscience du camp du bien et du cercle de la raison. Et comme tout le monde est convaincu que son camp est le camp du bien il n’y a plus de dilemme tragique, plus de cas de conscience. Mais quand il n’y a plus que des bonnes consciences qui s’affrontent, il n’y a plus de politique et plus de pensée. Et cette négation du tragique vire non à la paix dans la soi-disant fin de l’histoire mais à la guerre de tous contre tous, dans le monde et dans la société.
Nous payons le prix de la superficialité intellectuelle et morale de la politique, en même temps que de l’éclipse des grands caractères qui n’ont pas leur place dans la fin de l’histoire qui débouche fatalement sur la dépolitisation de la société et de l’économie et qui confie les destinées des peuples à la main invisible des marchés, à l’Etat de droit, aux juridictions et aux autorités indépendantes. C’est ce qui c’est passé. On n’a pas fini d’en payer les conséquences.
Breizh-info.com : Endossez vous une part de responsabilité dans l’effondrement que vous décrivez, vous et votre famille politique ? La diabolisation de ceux qui énonçaient pourtant des vérités et des prédictions aujourd’hui confirmées, comme Jean-Marie Le Pen, et l’aveuglement par obsession antiraciste notamment, n’ont-t-ils pas fait perdre un temps fou ?
Henri Guaino : Je prends ma part de responsabilité parce que ma conviction est que la responsabilité est collective. Durant les quarante ans où je n’ai cessé, au dedans et en dehors du pouvoir de plaider la même chose je n’ai pas su trouver les voies et les moyens de convaincre assez de gens pour infléchir le cours de l’histoire. Mais personne n’y est parvenu. Il est vrai que la diabolisation en politique a été largement pratiquée et que beaucoup de débats ont été interdits. Ce n’était pas nouveau mais comme toujours c’était la meilleure façon de préparer le pire et peut être sommes-nous en train de l’entrevoir. S’agissant de l’anti racisme, ce n’est pas son obsession qui est en cause mais son dévoiement qui le banalise et qui finit par déboucher sur le racialisme. C’est une dérive qui s’accentue depuis les années 70 et qu’à cette époque, même Levi-Strauss qui en avait été la victime avait dénoncée. Pour aboutir aujourd’hui à la lettre que les autorités californiennes ont adressée aux enseignants des collèges et qui met des mots sur une idée qui devient très prégnante même de ce côté-ci de l ‘Atlantique: « si vous pensez que vous n’êtes pas raciste, c’est que vous êtes raciste. »
Breizh-info.com : Une civilisation menacée de l’extérieur (immigration, islamisme, concurrence économique puissante, vassalisation) peut-elle prétendre survivre et se développer, si elle se suicide également de l’intérieur (notamment du fait du wokisme et de tous les changements sociétaux qu’il induit) ?
Henri Guaino : C’est l’un des grands problèmes aujourd’hui de l’Occident en tant que civilisation qui entend donner des leçons au monde entier tout en se laissant aller à la haine de soi portée par une multitude de minorités agissantes qu’on laisse prospérer quand on ne les encourage pas. C’est l’une des entreprises de déconstructions des murailles qui sont censées endiguer la sauvagerie de l’Homme. Car la haine de soi débouche toujours sur la haine de l’autre.
Breizh-info.com : En 2018, vous aviez mentionné une « réminiscence des années 1930 » en politique. Pensez-vous que cette perspective est toujours d’actualité aujourd’hui ?
Henri Guaino : Oui, de plus en plus, même si les dangers n’ont pas les mêmes visages et les mêmes noms. Nous ne sommes pas à l’abri du déchainement de souffrances, de barbarie et de violence qu’a connues l’Europe au débouché de la crise de civilisation des années trente.
Breizh-info.com : Pour rester dans les années 30 et pour paraphraser Lénine, « Que faire ?» alors, pour ne pas disparaitre dans la barbarie et la dissolution civilisationnelle ?
Henri Guaino : D’abord prendre conscience du risque, reconnaître que si nous sommes capables du meilleur, notre nature nous rend aussi capable du pire, retrouver les sens du tragique de l’histoire et de la condition humaine et en tirer les conséquences en redonnant à la politique les moyens d’être l’expression de la volonté humaine dans l’histoire.
Comme toujours, tout commence par la réforme intellectuelle et morale. Les imbéciles diront que ce ne sont que des mots creux. Mais les imbéciles sont souvent les artisans des grandes catastrophes.
Propos recueillis par YV
Sonnez, sonnez toujours, clairons de la pensée.
Quand Josué rêveur, la tête aux cieux dressée,
Suivi des siens, marchait, et, prophète irrité,
Sonnait de la trompette autour de la cité,
Au premier tour qu’il fit, le roi se mit à rire ;
Au second tour, riant toujours, il lui fit dire :
« Crois-tu donc renverser ma ville avec du vent ? »
A la troisième fois l’arche allait en avant,
Puis les trompettes, puis toute l’armée en marche,
Et les petits enfants venaient cracher sur l’arche,
Et, soufflant dans leur trompe, imitaient le clairon ;
Au quatrième tour, bravant les fils d’Aaron,
Entre les vieux créneaux tout brunis par la rouille,
Les femmes s’asseyaient en filant leur quenouille,
Et se moquaient, jetant des pierres aux hébreux ;
A la cinquième fois, sur ces murs ténébreux,
Aveugles et boiteux vinrent, et leurs huées
Raillaient le noir clairon sonnant sous les nuées
A la sixième fois, sur sa tour de granit
Si haute qu’au sommet l’aigle faisait son nid,
Si dure que l’éclair l’eût en vain foudroyée,
Le roi revint, riant à gorge déployée,
Et cria : « Ces hébreux sont bons musiciens ! »
Autour du roi joyeux riaient tous les anciens
Qui le soir sont assis au temple, et délibèrent.
A la septième fois, les murailles tombèrent.
19 mars 1853. Jersey.
Victor Hugo
Les Châtiments – Livre septiième