En 1976, j’ai combattu pour défendre Beyrouth, et je la pleure

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Source : Riposte Laïque, Emmanuel Albach

Il m’aura fallu plus d’une semaine pour réagir à l’explosion de Beyrouth. Beyrouth, c’est ma ville aussi, même si je suis un Français de pure souche, depuis bien des siècles. J’ai gagné le droit de l’appeler « ma ville » car j’ai combattu pour la défendre contre des envahisseurs étrangers qui avaient décidé de la conquérir, la mettre à sac, et d’en chasser ses habitants, ces fils de Phéniciens, d’Araméens, que sont les chrétiens du Liban.

À Gemmayzé et Mar Mikhaël, les gens criaient : « Vive la France ! »
Je me souviens de ces soirées de mai 1976 où nous descendions d’Achrafieh, juchés à l’arrière de pick-up Chevrolet ou sur des blindés M-113 frappés du cèdre des Phalanges libanaises, vers le port et le centre-ville, pour les combats de la nuit. En traversant Gemmayzé, Mar Mikhael, des inconnus, des petits commerçants, des enfants qui avaient pris l’habitude de nous voir passer à la tombée de la nuit, criaient « Vive la France ! ». Pour eux, pour l’histoire, nous étions la France. Neuf cents ans – ou presque—après les Belges et Bourguignons (comme moi) de Godefroy de Bouillon, après les Toulousains de Raymond de Saint Gilles – et des gars du Sud-ouest, il y en avait parmi nous, et des Auvergnats aussi -, après les Normands de Tancrède et Bohémond – et des Normands du XXe siècle, et de sacrément farouches, il y en eut aussi – nous étions là.

Jocelyne, pure héroïne
Moins nombreux, glorieux et puissants que nos prédécesseurs des croisades, mais nous étions quand même là avec ces chrétiens du Liban plus francophiles que la plupart des Français, parlant une langue de Molière impeccable qui roulait juste un peu, si joliment, les « R », et particulièrement les filles. Des filles, justement, de sacrées combattantes, il y en avait aussi comme Jocelyne Al Khoueiry, pure héroïne, qui, par un hasard funeste du calendrier a quitté cette terre une semaine avant l’explosion de Beyrouth, et je suis bien content qu’elle ne l’ait ni vue, ni entendue. Nous n’avons jamais été plus d’une cinquantaine au total de jeunes Français engagés dans les milices chrétiennes, mais nous étions pour eux presque mieux qu’une armée puisque, comme eux, comme tous les combattants chrétiens, de purs volontaires. 4 000 noms de ces jeunes gens morts au combat pour protéger leurs quartiers, leur pays, sont gravés dans le marbre noir du musée de la Résistance chrétienne, inauguré il y a deux ans au port de Jounieh, et où un panneau de photos – où j’ai l’immodestie de figurer- rappelle que les Français étaient là.

Les grands silos que nous protégions, éventrés aujourd’hui…
Beyrouth était si belle. Et même les rues Allenby et Foch, où nous combattions, avec leurs immeubles hausmanniens revisités par le goût architectural libanais, étaient splendides. Nous étions à Beyrouth, mais si près de la France ! Le Beyrouth qui a été soufflé par l’explosion du 4 août c’est celui-là, et c’est aussi celui des quartiers chrétiens proches du port devant lesquels nous faisions barrage, que nous protégions, et nous en étions fiers, sur la barricade de la rue du Port, dans nos trous à rat en béton de l’immeuble Fattal, ou derrière nos sacs de sable de la jetée portuaire. Derrière nous se dressaient, surplombant le deuxième bassin du port, les grands tubes des silos à grains, que l’explosion du 4 août a éventrés à mort. C’était la farine du pain du Liban qui dormait là, et nous la protégions aussi. Certaines nuits de juin 1976, quand la pression devenait trop forte, la pluie d’obus trop drue, et que les tentatives de percer le front du port se multipliaient, deux chars AMX-13 empruntés par les Phalanges à l’armée libanaise venaient se positionner de part et d’autre des silos et tiraient au canon, au-dessus de nos têtes. Nous entendions ronfler et chanter les obus français et cela nous faisait rudement plaisir.

Des quartiers épargnés par la guerre, aujourd’hui ravagés
Tous les jours les combattants du port et du centre-ville payaient leur tribut de sang et de vie pour que l’ennemi n’atteignît jamais les silos, Gemmayzé, Mar Mikhaêl et le bastion d’Achrafieh. Et tous les matins, en remontant du front, nous humions dans l’air déjà chaud du matin, les senteurs de galettes au thym et de café brûlant car toujours il y avait, à un carrefour de ces quartiers, des habitants pour nous les offrir, avec leur cœur, avec, disaient-ils : « Tout notre amour pour la France ». Ce sont leurs quartiers si jolis, frais, secrets mais accueillants, presque épargnés et entièrement restaurés malgré quinze ans de guerre, que des irresponsables, des salauds, ont ravagé pour toujours.

Aoun-la-honte
Aoun, le lamentable Président juché sur son trône par une coalition d’aveugles et de vendus, devrait déjà avoir démissionné, si le mot honte avait un sens pour celui qui, en 1990, conduisit à une mort certaine des centaines d’officiers et de soldats libanais, exécutés par les Syriens après la fuite honteuse de leur chef. Mais Aoun ne partira pas ainsi. Pathétique marionnette d’une milice libano-iranienne – le Hezbollah – il n’obéit qu’aux directives des ayatollahs de Qom. Que s’est-il passé le 4 août, j’en ai ma petite idée, basée sur des informations dont tout le monde ne dispose pas nécessairement. Dans mon prochain article, je vous dirai cela. Mais il fallait déjà que je pleure ma chère Beyrouth…

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