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Francis Cabrel est un artiste rare, consentant à nous livrer, de sa retraite d’Astaffort, un disque tous les cinq ou six ans. On n’y trouve plus de tube évident, le dernier en date, « Sarbacane », remontant à 1989, mais des albums de plus en plus épurés, comme s’il n’avait plus que l’essentiel à nous dire. À l’aube revenant, publié il y a peu, participe de cette même veine intimiste. Que dire à l’écoute d’un tel opus ? Rien, si ce n’est qu’il est bouleversant de beauté, que ce soit dans les mélodies, renversantes, et les textes, beaux à tomber.
Le plus bel exemple ? « Te ressembler », quand Francis Cabrel rend hommage à son père, se levant tôt et rentrant tard, entre usine et travaux de jardins, qui avait la parole rare et l’affection pudique, mort avant l’âge, épuisé par le travail. Dans « Difficile à croire », il déplore la disparition des librairies, écrasées par les géants de la vente en ligne, tandis qu’avec « Parlons-nous », il s’alarme de ces Français de plus en plus isolés dans leurs bulles respectives et qui, justement, ne se parlent plus, ou alors de moins en moins.
Il y a là une humanité profonde, une élévation d’âme qu’on ne peut que saluer ; ce, d’autant plus qu’elle se mêle d’une humilité non feinte. Francis Cabrel, dont on ne sait rien des opinions politiques, parle du pays qu’il habite, des terroirs l’ayant façonné et, surtout, des gens qu’il côtoie au jour le jour. Ensuite, est-ce l’âge, mais les arrangements de ses chansons se réduisent au strict minimum : guitares acoustiques, contrebasse, batterie discrète, mais à l’incomparable swing ; sans oublier les chœurs angéliques de trois fées dont les voix ont de quoi faire honte aux hordes de couineuses envahissant la bande FM.
Certes, Francis Cabrel a longtemps été raillé pour ses chansons d’amour (pourtant, « L’Encre de tes yeux » et « Je l’aime à mourir », ce n’était pas rien), son fort accent du Sud-Ouest, ses moustaches pas tout à fait cool, quand apparues en pleine période punk, à la fin des années soixante-dix. Il n’empêche qu’il est toujours là, faisant preuve d’une longévité devenue rare en ce métier sinistré. Les mêmes esprits chagrins dénigrent souvent Eric Clapton pour de semblables raisons : discrétion assumée, refus de jouer le jeu des médias, opinions parfois hétérodoxes, Clapton, même vacciné, a été plus que sceptique sur la politique de confinement généralisé. D’ailleurs, il y a bien longtemps que lui aussi n’a pas signé de tubes évidents, « Tears in Heaven » remontant tout de même à 1992.
C’est d’ailleurs à la faveur de ces mêmes confinements qu’il a choisi de louer un charmant manoir, niché au creux de la campagne anglaise, et d’y revisiter ses vieux titres, ainsi que d’antiques ritournelles qu’il n’avait jusqu’alors jamais interprétées, telles « Black Magic Woman » ou « Man of the World », signées du défunt Peter Green, fondateur du groupe Fleetwood Mac, avant leur période californienne et cocaïnée. Résultat ? Un concert à huis clos dans lequel l’électricité n’est que chichement invitée. Une relecture de « River of Tears » dont il disait qu’il avait voulu écrire la chanson la plus triste du monde, ne se rendant peut-être pas compte qu’elle serait aussi l’une de ses plus belles. Et puis, aussi et surtout, « Believe in Life », samba paresseuse et enamourée, ici jouée devant l’unique spectatrice de ce show hors du commun, madame Éric Clapton en personne, qui donne son nom à ce petit chef-d’œuvre qu’est « Lady in the Balcony ».
Voilà de la belle ouvrage. À l’ancienne. Au-delà des modes, donc. La recette des classiques ? Oui.
Nicolas Gauthier, Boulevard Voltaire
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