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On attendait tous quelque chose de cette élection, mais elle n’a pas eu lieu, comme la guerre de Troie selon Giraudoux. C’est son simulacre qui nous a tenus en haleine ces derniers mois. Sauf dans les rêves les plus fous des plus fous de ses opposants, personne n’a jamais cru qu’une majorité de Français allaient renvoyer Foutriquet au Touquet. L’Élysée, c’est bien mieux pour lui. Sans surprise, il a été réélu, avec moins de voix qu’en 2017, certes ; et Marine a été battue – avec plus de voix paradoxalement. Maigre consolation. Marine ne sera pas notre Marianne.
Le macronisme, un portefeuille d’inactifs !
Le résultat était couru d’avance. Même si le front républicain n’est plus ce qu’il était, les castors étaient quand même à leur barrage contre l’extrême droite, les artistocrates à leurs pétitions, les mélenchoniens à leur doute existentiel, les antifas à leur fantôme de la marche sur Rome. Mêmes acteurs, même comédie, même épilogue. Bis repetita placent, disaient les Romains. Macron s’en est souvenu jusque dans la scénographie. Il n’a pas touché à sa playlist de 2017 : l’Hymne à la joie. Il y a cinq ans, Jupiter descendait seul de l’Olympe ; dimanche soir, Jupitérion tenait la main de Brigitte, comme Peter Pan celle de Wendy dans un film rétro des années 80. Moi, DJ, j’aurais choisi Yves Duteil : Prendre une vieille dame par la main. Dans leur couple, c’est Brigitte qui flétrit, pas Emmanuel. Tant il est vrai que Dorian Gray ne vieillit pas, c’est son portrait qui, à l’ombre des regards, subit les outrages de l’âge. L’âge : le meilleur allié du président.
La gérontocratie vaccinale a plébiscité ses ordonnances. Qu’elle se rassure, elle aura toutes ses doses et tous ses rappels cinq ans durant. La France de Macron, c’est la France qui attend sa piqûre. Pas folichon comme perspective. 70 % des plus de 65 ans ont voté pour lui. Macron a inventé une nouvelle classe de produit financier : le portefeuille d’inactifs ! Un comble pour un banquier d’affaires. Les inactifs, c’est de l’or électoral, le fameux or gris. L’assurance-vie du macronisme, qui lui a valu de capter le vote des riches, des diplômés et des immigrés : jusqu’à 85 % du vote musulman, de quoi rendre jaloux Jean-Luc Mélenchon.
Et à la fin, c’est la Bundesbank qui gagne
En 2017, Macron était un hapax ; en 2022, c’est devenu une habitude. Comme l’a rappelé Jean-Paul Brighelli, la politique c’est un peu comme le foot selon Gary Lineker, un sport qui se joue à onze contre onze, où à la fin c’est l’Allemagne qui gagne. La Bundesbank, si on préfère. Ou Ursula von der Leyen. Ou Jacques Delors. Ou Jacques Attali. Ni les uns ni les autres ne sont pourtant majoritaires dans le pays, loin de là, mais aucune majorité n’est jamais parvenu à se cristalliser contre eux, sauf en 2005 avec le « non » au référendum sur le TCE. Notre drame politique vient de l’incapacité à recréer une pareille coalition. C’est ce que Marine a cherché à faire, en vain. Mais une telle coalition est désormais chimérique. À peine 20 % des électeurs de Mélenchon ont fait le choix de Marine au second tour. La gauche a toujours plus pris au sérieux le clivage droite-gauche que nous. Il est chez elle de l’ordre de la barrière des espèces. Philippot qui la croyait poreuse en 2017 en a fait son deuil, pas Marine. S’il y a pourtant quelqu’un qui devrait savoir que les chiens ne font pas des chats, c’est elle.
Le lièvre et la tortue
Au premier tour, elle a mené une campagne du tonnerre, dans les campagnes justement, avec la placidité de Jacques Chirac en 1995. À la fracture sociale, s’ajoutait la fracture territoriale. Du velours pour elle. Elle a serré des mains, tâté du cul des vaches et pris des nouvelles du petit. Elle parlait comme la rédactrice en chef de 60 millions de consommateurs. Quel est le meilleur rapport qualité-prix ? Mon programme, répondait-elle, en sortant sa calculette. Elle était im-per-tur-ba-ble. Et elle était certainement la seule à avoir la certitude d’être sur la bonne ligne. Cela s’est senti. Elle a tracé son bonhomme de chemin comme dans une fable de Jean de La Fontaine. Rien ne sert de courir ; il faut partir à point. La tortue, c’était elle. Le lièvre, Zemmour. L’histoire ne finit mal que pour le second.
Mais c’est au second tour que celle de Marine s’est arrêtée. Au premier tour, il importait qu’elle rassure. Le second, c’est une autre paire de manches : on ne rassure pas, on assure. Ce qui n’est pas exactement la même chose. Elle a excellé dans un registre, échoué dans l’autre. Le débat, c’était son oral de rattrapage, cinq ans après. Elle l’a planté, n’en déplaise à ses partisans. Macron suffisant, Marine insuffisante. Étonnamment, c’est elle qui était sur la défensive, dans un jeu de rôles inversé : Macron l’a attaquée sur son programme, elle a oublié de l’attaquer sur son bilan. La stratégie de l’évitement, quand on est challenger, c’est la défaite assurée. Point besoin d’avoir lu Sun Tzu pour le savoir. Pour le plaisir, je cite l’auteur de L’Art de la guerre : « L’invincibilité se trouve dans la défense, la possibilité de victoire dans l’attaque. » Sun Tzu, c’est beau comme une frappe chirurgicale.
Nouvel épisode d’OSS 117 : Hénin-Beaumont ne répond plus
Aristote aussi, dans un registre différent. Dommage qu’il n’ait pu assister au débat. Il nous aurait conforté dans notre détestation de Macron. De tous les signes distinctifs qu’Aristote attribue aux très riches, le plus significatif, c’est l’arrogance. Les Grecs appelaient cela l’hubris ; et l’hubris de Macron semble sans limites. Nous avons cinq ans pour la lui faire payer. Mais en attendant, sa morgue ne l’a pas éliminé, au grand dam des marinistes qui imaginaient qu’un Macron avachi et condescendant, les mains croisées, se balançant sur son fauteuil, les sourcils en accent circonflexe, comme dans une parodie d’OSS 117, allait se prendre une claque. Mais dimanche soir ce n’était pas Rio qui ne répondait pas, c’était Hénin-Beaumont.
Marine a porté le populisme à un niveau inégalé en France, mais à la fin pour quoi : échouer loin des portes du pouvoir ? Pouvait-elle seulement gagner ? Le fameux plafond de verre ? Mais le plafond de verre est en acier. On ne va pas le percer à la bienveillance. Elle n’est d’ailleurs plus à l’ordre du jour. Zemmouriens et marinistes ont décidé de s’invectiver en prenant à témoin la terre entière. Un grand classique des extrêmes. J’emploie le terme à dessein. Le propre des extrêmes, de droite comme de gauche, c’est d’avoir un mode de reproduction à la fois complexe et primitif : le scissionnisme congénital. Ou, pour parler le langage de la biologie : la scissiparité, c’est-à-dire la reproduction d’un même organisme qui se scinde à l’infini en autant de groupuscules et de corpuscules irréconciliables. Difficile d’y voir clair à la fin, même au microscope. Le microscope risque de devenir important pour nous : c’est l’échelle de grandeur qui servira à mesurer le poids du RN et de Reconquête ! dans la future Assemblée nationale. On aurait préféré un télescope.
François Bousquet, Revue Éléments
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