Loin des insultes, la polémique entre Éric Zemmour et Hapsatou Sy a eu le mérite d’attirer l’attention sur la fonction intégratrice des prénoms de tradition française. Il ne s’agit pas de contester la nationalité française d’une Hapsatou, d’un Mounir ou d’un Mohammed, mais de constater, simplement, que la généralisation de prénoms issus de la diversité est un frein puissant à la compréhension de la culture française, et de ce qui en fait peut-être sa gloire : la littérature. Et, donc, à l’intégration.
Si Hapsatou avait passé quelques heures de cours avec mon collègue de français, dans mon collège REP+ de banlieue, elle aurait peut-être compris ce que voulait dire Éric Zemmour : les parents d’immigrés qui piochaient naguère dans la liste des prénoms français traditionnels donnaient ainsi à leurs enfants un accès insoupçonné et unique à la culture française et à sa littérature. Mais aujourd’hui, dans des classes où ces prénoms ont quasiment disparu, que se passe-t-il ?
Réponse par deux scènes véridiques vécues l’an dernier dans une classe de 3e.
Au cours de l’année, l’inspection de lettres avait proposé un sujet de brevet correspondant aux nouvelles exigences de l’examen. Il s’agissait d’un extrait de la belle nouvelle de Gide, Geneviève, ou la confidence inachevée. Le texte était simple, court, et mettait en scène une amitié naissante entre deux lycéennes. Certes, il y avait des marques d’accord qui auraient dû leur permettre de deviner que le narrateur était une narratrice, mais pour la moitié de la classe, Geneviève était un prénom parfaitement inconnu, étranger et, l’inculture s’ajoutant à l’inattention, Geneviève – que beaucoup eurent du mal à recopier sans faute – devint un garçon. La première Geneviève qu’ils avaient rencontrée, c’était dans ce texte de Gide. Et la rencontre se passa mal…
Mais cette même génération de 3e n’était pas au bout de ses peines. Juin arriva et l’épreuve du vrai brevet : le célèbre texte d’Uranus, de Marcel Aymé, mettant en scène le cafetier, immortalisé par Depardieu, fasciné par la récitation des alexandrins de Racine et la douleur d’Andromaque. On sait quels cris ont poussés certains professeurs de lettres : on avait osé demander à des élèves de 3e de différencier une subordonnée relative d’une conjonctive et de transformer un passage du discours direct au style indirect. Sans doute des collègues qui n’avaient pas vu que Najat Vallaud-Belkacem et ses épigones n’étaient plus aux commandes. Mais le pire des copies n’était pas dans l’incapacité des élèves à répondre à ces questions de grammaire. Non : les confusions étaient bien plus affligeantes, de nouveau, au simple niveau des personnages. Mais qui était Léopold ? Là encore, c’était le premier Léopold que nos élèves rencontraient de leur vie. Était-ce le professeur ? Et cette Andromaque, un guerrier ?
Conclusion : la littérature française jusqu’à la seconde moitié du XXe siècle est devenue incompréhensible à une grande partie des élèves issus de la diversité. Et il n’y a pas que leurs lacunes en vocabulaire, en syntaxe et en orthographe qui soient en cause. Il y a aussi leur bain culturel et onomastique, réduit et ethnocentré. L’une des voies d’accès privilégiées vers la littérature, la voie de l’empathie, aurait pu être celle de la communauté des prénoms avec les personnages et les auteurs. Mais le choix de la diversité coupe un peu plus ces élèves de la culture et de la littérature qui devraient être la leur. Dans ce sens, oui, le choix systématique de prénoms issus de la diversité est une injustice (en latin : une injuria, une injure) faite à la France et à sa littérature. Une façon de lui dire – pour rester policé : je ne te connais pas.
Il faudrait qu’Hapsatou Sy prenne conscience que la France n’a pas commencé il y a dix ou vingt ans avec la généralisation des prénoms de la diversité, mais la Chanson de Roland, Racine, Chateaubriand, Gide, Marcel Aymé et quelques autres méritent peut-être que quelques petits René, Geneviève et Jean reviennent peupler nos classes. Cette diversité-là serait nécessaire. Pour le bien de tous.